Précisions de Benoît Casas (2) par Bertrand Verdier
comme un petit aigle égaré qui circulerait dans mes veines
« Notes éparses, reprises (pour une mnémotechnie généralisée de l'art?) »
Denis Roche : À quoi sert le lynx? À rien, comme Mozart (repris in DL)
« Écrire par fragments : les fragments sont alors des pierres sur le pourtour du cercle : je m'étale en rond : tout mon petit univers en miettes ; au centre, quoi ? »
Roland Barthes : Roland Barthes par Roland Barthes ;
Seuil, 1975, collection « écrivains de toujours »
« soumis dans sa structure même à l'asyndète et à l'anacoluthe, figures de l'interruption et du court-circuit »
Roland Barthes : ibid
« 4. Quand deux énoncés se touchent, une étincelle jaillit. […]
15. Les énoncés voyagent, en quête d'autres énoncés. Comment faire se toucher des énoncés ? Jamais en ligne droite, jamais directement. Mais par la bande. Par rebonds »
Emmanuel Hocquard : Le Commanditaire ; P.O.L
« chaque pièce se suffit, et cependant elle n'est jamais que l'interstice de ses voisines : l'œuvre n'est faite que de hors-texte. »
Roland Barthes : ibid
« Leur fonction est synoptique, comme une liste pense-bête. Ils n'ont pas pour rôle de provoquer la saisie d'une ressemblance. Juste de déclencher une reconnaissance »
La Rédaction : VALÉRIE par Valérie ; Al Dante
« pour le moment, ces pages […] qui s'alignent à l'infini, sont réellement de la musique, et rien d'autre, un peu de […] cette musique pleine que chacun fait en lui mais que personne ne peut entendre. »
Denis Roche : Dépôts de savoir & de technique
« l'écriture n'est pas la communication d'un message qui partirait de l'auteur et irait au lecteur ; elle est spécifiquement la voix même de la lecture : dans le texte, seul parle le lecteur. »
Roland Barthes : S/Z
« la société tolère mal qu'on ajoute à la liberté qu'elle donne, une liberté qu'on prend. »
Roland Barthes : Littérature et discontinu
in Essais critiques
Il faut savoir que la guerre est partout, que la lutte est justice –, et que tout est en devenir par la lutte, selon l'ordre normal des choses.
Héraclite : Fragment 85 - traduction Yves Battistini
2092 […] ils s'étonnaient de voir si peu de riches parvenir à asservir tant de pauvres et pourquoi ces derniers ne leur tranchaient pas la gorge.
Benoît Casas : Précisions
Crache la couleur des mots / Si les cris viennent de la peau
Daniel Balavoine : Révolucion
« Nos marteaux en main, passons au crible
Tout ce que nous savons : puis, Frères, en avant ! »
Arthur Rimbaud : Le Forgeron
Cette production de Benoît Casas consiste en un poème qui peut se lire comme autant de prétéritions autobiographiques de l'existence d'un je, développées sur 366 pages. Au lecteur incombe de transiter du « je » au « nous », de s'approprier cette autobiographie de tout le monde, et, à la suite du poème, de relever les agenouillages anciens.
Livre du montage, Précisions est écrit intégralement à partir de notes en bas de page de centaines de livres. L'écriture a en effet consisté à lire exclusivement ces notes : prélever, monter, associer, déplacer, découper, un crayon à la main[1].Et ces suites de notes, ces citations, loin de leur statut académique de renvoi « en bas de page », vont devenir la chair même du texte, où le poète pense en pièces détachées, idées séparées, images formées par contiguïté. Ainsi, « ce qui est décisif ici, ce n'est pas la vision des choses, mais la combinatoire » (Paul Celan à Ingeborg Bachmann, 23 octobre 1959). Un élément par conséquent n'est pas présentable dans l'expérience de manière isolée, pas plus qu'il n'est compréhensible isolément. Quant aux groupements d'unités, ils ne sont ni strophes, ni phrases, mais « unités à la fois argumentatives et métriques ».
De fait, l'importance d'un texte n'est pas sa signification, ce qu'il veut dire, mais ce qu'il fait et fait faire : le démontage de la fiction littéraire, le démontage de la fiction sociale, qui aurait place hors de cette page. Puisque le langage est ainsi organisé qu'il permet à chaque locuteur de s'approprier la langue entière en se désignant comme je, le langage n'est pas un moyen mais une pratique, un terrain absolument matériel qui modifie la réalité, le rapport de forces, la forme des rapports, les conditions de la lutte. Son acte est le poème, la proposition matérielle ; et énoncer sera produire.
Par cette déclaration de matérialisme intégral, il s'agit d'éprouver le pouvoir des mots, dont la priorité est politique. Or, dans la mesure où seule la lecture est déterminante, il s'avère que le lecteur prend le relais de l'auteur, fait l'œuvre. D'où cette lettre au lecteur : à toi de savoir maintenant prendre des décisions. Dès lors, le poème propose l'hypothèse d'une action accomplie : tout le fond, toutes les exaspérations roulent autour du mot Révolution (le terme provient d'une forme de lutte des ouvriers anglais qui consistait en une « permanente rotation et changement des tactiques, des rythmes et des méthodes de lutte »). Cette hypothèse révolutionnaire confronte le poète au prolétaire. Par les détours de l'agir, l'analyse concrète d'une situation concrète exige le lecteur, un créateur de circonstances immédiatement dans l'ordre réel. Les forces révolutionnaires sont celles capables de désaxer le fondement actuel des choses, de changer l'angle de la réalité : l'État donc doit disparaître. Cela devait être fait ; et ne le pouvait que par vous.
La Fête révolutionnaire est la vocation du poète, de l'explorateur et du révolutionnaire. Et tout cela vous sera ajouté.[2]
[1] Concernant les recueils de citations comme genre, cf. Robert Darnton : « La lecture et ses mystères », in Apologie du livre ; Gallimard, Paris, collection "nrf essais", p. 19-45.
[2] Dans l'ordre où ils se succèdent, les extraits ici de Précisions proviennent de la 4e de couv., de la page 377, et des vers 1169, 1315, 377, 1174, 2152, 1574, 680, 168, 590, 2050, 2051, 1955, 1178, 940, 82, 1447, 528, 1088, 2221, 2222, 2119, 1448, 756, 1376, 2390, 1519, 1612, 1403, 1781, 1406, 1405, 1455, 1598, 1464, 1465, 1730, 2266 et 2358.