Quelques banalités au sujet de la démocratie qui tend à atteindre son degré zéro de Fabrice Caravaca par Bertrand Verdier
LA DÉMOCRATIE EST INADMISSIBLE ; D'AILLEURS ELLE N'EXISTE PAS
[texte adopté au consensus par les présent-es, e.l.ux-mêmes dûment porteur-es d'un mandat unique, impératif et révocable à tout instant]
« une écriture dont la fonction n'est plus seulement de communiquer ou d'exprimer, mais d'imposer un au-delà du langage qui est à la fois l'Histoire et le parti qu'on y prend. »
Roland Barthes : Le Degré zéro de l'écriture ; Éditions du Seuil, 1972, p. 7
« Quand une fiction devient visible en tant que telle, elle commence à se dissoudre ou à disparaître. »
Jean-Marie Gleize : Altitude zéro ; Java, 1997, coll. "les petits essais", p. 15 (il cite là Le Commanditaire de Emmanuel Hocquard, lui-même citant Steven Marcus ; P.O.L, 1993)
« Nous n’avons rien à voir avec la littérature, mais nous sommes très capables, au besoin, de nous en servir comme tout le monde. »
Antonin Artaud : Déclaration du 27 janvier 1925
Le temps fait rage. Ce texte, bref et de poche, a paru en janvier, à point nommé. Qu'on l'ait lu il y a trois mois, en plein pendant nos luttes contre la contre-réforme des retraites, ou qu'on le (re)lise maintenant (car oui, on lit quand même des choses qu'on aime, et ça distrait nos vies), ce livre pose instamment questions : quelle nécessité à écrire et éditer des "banalités" ? Y a-t-il différents degrés de démocratie ou ne peut-elle exister qu'exclusivement et directement ? Les références à Lincoln et Allende sont-elles ironiques ou naïves ? Bref, que faire de ce livre dans notre présent présentement de luttes ?
Il est, oui, de plus en plus commun, le lieu qui expose que les ploutocrates avancent de moins en moins masqués, et que partout les légitimations légales d'asservissement des populations s'accélèrent de façon exponentielle. Cette banalité, Fabrice Caravaca, lui, la formule ainsi : « Le degré zéro de la démocratie et la plus haute expression du capitalisme sont concomitants » (16). Ce lien entre "degré zéro" et "plus haute expression" apparaît une seule autre fois ; et c'est très significativement dans les quatre lignes qui concluent le livre : « Dans une démocratie qui ne tend pas à atteindre son degré zéro mais qui bien au contraire tend à atteindre son plus haut niveau d'expression, le 11 septembre est chilien. » Il se confirme donc 1°) que le capitalisme est le « contraire » de la démocratie et 2°) que l'avènement de celle-ci résultera d'une lutte entre hauteurs d'expressions.
L'auteur fait aussi valoir (pardon si c'est banal) combien les capitalistes s'époumonent, « pour parler simple, [à] faire passer des vessies pour des lanternes. » (18). Il s'attelle par conséquent à restituer aux lanternes leur lanternité et aux vessies leur vessité. Quelques phrases y suffisent : « le mot démocratie est un nom de code » (11) pour « une farce qui peut faire usage de la force » (15), où « les forces du maintien de l'ordre ne se maintiennent plus » (25) et où « la majorité ne représente pas nécessairement le plus grand nombre » (23), puisque « pour qu'une démocratie atteigne son degré zéro le concept de vote […] est utile » (19).
Lors ces quelques banalités se justifient de ferrailler ici avec celles, controuvées et manipulatrices, de la rhétorique capitaliste. La forme de ritournelle pamphlétaire du texte contribue, si besoin était, à persuader de la banalité des banalités : un tel libelle participe indéniablement d'un processus d'éducation populaire et d 'émancipation. Or, les capitalistes n'ont « d'autre fin que d'assujettir le vocabulaire » (21), et, pour eux, « tuer les symboles est une pratique courante » (29). La formule conclusive déjà évoquée exemplifie le nécessaire dynamitage de telles menées révisionnistes : en accolant « chilien », au très rentable « 11 septembre » (la vessie), Fabrice Caravaca exprime l'exigence de la primauté mémorielle d'un autre 11 septembre - celui de 1973, où la démocratie représentative états-unienne immola à la démocratie la démocratie représentative chilienne. Là est la lanterne.
Alors le livre peut en toute logique s'achever par un seul adverbe, isolé, abrégé : « Etc. ». En effet, l'exemple, ô combien symbolique, "des" 11 septembre, ouvre sponte sua la voie à d'innombrables autres banalités à insuffler et essaimer. L'auteur a tenu son rôle : contribuer aux conditions de possibilité de la démocratie ; et le « Etc. » final est une invitation, un passage de flambeau. Parmi nous, ainsi tel lecteur pose que « démocratie représentative", "intellectuel de droite", "école de journalisme", "france culture" ou "état démocratique" constituent ipso facto des oxymores banals ; telle autre estime qu'il n'y a aucune raison principiellement opposable à être banalement tous ensemble dans nos rues ce 1er mai 2020 pour le 1er mai.
Autrement dit : écrire, c'est lancer des banals. Lecteur-se, ma semblable, ma frère, toi qui cries "basta !", aimons-nous vivants et rejoins notre raïa.