Revue PLI - projectile littéral, n° 9 par Bertrand Verdier
La vie est dans PLI
« rendre mieux visible l'état de dégradation continuée des conditions faites à l'existence commune ; […] en perturber le cours en rendant plus incertain et plus contrarié l'assentiment aveugle qui partout le permet »
(Jean-Paul Curnier : Aggravation ; Fourbis, 1997, 4e de couv.)
« Par la volonté appuyée sur le souffle, par la pensée sans souffle, par ses démons, Tahavi a rejeté. »
(Henri Michaux : « Tahavi » ; La vie dans les plis)
« Les armes dont je vous parle ne sont pas une plaisanterie.
Elles sont basées sur la force du souffle »
(Antonin Artaud : Suppôts et suppliciations ; p. 116)
La violence intrinsèque du capitalisme s'accroît avec sa radicalisation. Notamment, elle assaisonne de coups et de projectiles celles et ceux chez qui ne monte pas la mayonnaise de "la bêtise au front de taureau". Et qui, quelque gerbante soirée nationalo-souveraino-patriotiste d'un dimanche de juillet, ne s'enjaillent pas d'être d'un État où Adama Traoré s'assassine, des mineurs étrangers se refoulent, les APL se diminuent, l'ISF se supprime, les réfugiés se boutent, les ZAD s'arasent, un protégé présidentiel s'affuble et un syndicaliste de Cruas se discrimine...
Cette prévisible faillite de la démocratie représentative s'accompagne de l'échec parallèle de la révolution représentative. Les solidarités vitales, essentielles et quotidiennes s'en ravivent : dédaignant le label de l'insoumission de façade , autogestion, assemblées populaires, mutualisation, démocratie directe, … ne cessent de se réinventer.
Depuis son premier numéro en octobre 2013, PLI participe de la fomentation de ces projectiles contre le capitalisme et ses idiots utiles. Significativement ainsi, la revue ne mentionne aucun comité de rédaction et son sommaire, liste alphabétique des noms d'auteurs, indique d'autant moins la pagination qu'il ne correspond pas à l'ordre dans lequel les contributions se succèdent. Sous-titré : « projectile littéral – Projectile, cabane, sédimentation, commune. », PLI goupille et abouche des savoir-faire, des compétences, des styles, ... attentif toutefois à en maintenir la diversité : « Pli est (tentative) commune d'acte et de pensée […] un espace d'assemblage, une marge offensive ». (p. 134).
Une réponse se donne par là même à la question de Hölderlin : "À quoi bon encore des poètes en des temps de détresse ?". Poésie, littérature, photographie, collages, graphes, ... constituent de fait autant d'armes : « Quelles sont nos armes ? Nous les inventons (les poètes sont rassurants sur ce point-là aussi, ils sont avec). […] Tentative : des mots des graffitis des musiques des livres des rires des enthousiasmes des solidarités des cabanes des marches des cailloux nos histoires // Nous continuerons ainsi. Ou autrement. // Nous n'étions pas censés avoir des armes. » (p. 38-39). Ces inventions naissent de la nécessité de la lutte par, et donc de et dans, également la littérature. Car « Nous sommes des assiégés permanents. » (p. 39), y compris en effet dans la pratique de la langue : « crétin destructeur intimant l'ordre d'écouter […] // le cadeau du savoir qui arrive // ce qui revient toujours // à coloniser » (p. 107). La colonisation par la langue meule et vrille les accès au savoir et à la pensée : « Atlas géographiques empruntés en bibliothèque dans lesquels ni révolution ni guerre n'apparaissent » (p. 22) ; il s'agit bien de s'acharner à rendre les cerveaux disponibles et la pensée dirigeable : « la notion de braves gens conduit des gens à voter à l'intention des braves gens // qui pourtant n'existent qu'en imagination // en tant que notion de braves gens // des lois destinées à rassurer des braves gens et à s'assurer de leur vote futur » (p. 67).
Littéraire et graphique, le projectile PLI s'impartit d'« annuler les défaites. Renverser. Ranimer le sens des mots. Labourer. » (p. 38). La réticulation avec d'autres projectiles d'autres genres multiplie les possibilités de « s'infinir encore et que notre attention soit sans terme » (p. 85). Révolu dès lors l'autoportrait de Nathalie Quintane : "je suis peu nombreuse" ; écrire, publier lire, prêter, donner PLI, « c'est sentir quelque chose en commun malgré les distances // c'est vérifier qu'on peut être aussi nombreux » (p. 130).