Sa mémoire m’aime, de Cécile Guivarch par Christophe Stolowicki
L’aimance de mère à fille réversible à l’épreuve d’Alzheimer telle une transfusion sanguine, oui, on fait de bonne littérature avec de puissants sentiments.
Un récit au plus dense, comme seul en prose sait le poème. « Tu coules dans mes veines. Je t’habite. Faite de toi de nos multiples séparations. Mais pourquoi dois-je me préparer encore à d’autres départs. Le jour où tu ne nous reconnaîtras plus. Le jour où tu ne seras pas totalement partie. ».
Hachuré de phrases brèves abolissant la plupart des virgules et tout point d’interrogation, un journal de bord de mère se réinvente en poèmes. L’interrogation point, abolit son point. La souffrance à bout de bras, à court de souffle, traduit en prose le poème.
« J’écris la mémoire. J’écris ma mère. La mémoire de ma mère entretenue comme un jardin. J’écris ma mère. La mémoire de ma mère entretenue comme un jardin. J’écris ma mère en friche dans son jardin. Dans les allées de son jardin je suis entourée de ma mère et de sa mémoire. J’écris sa mémoire s’en va. J’écris sa mémoire me revient. […] Sa mémoire et la mienne un seul jardin. [… ] J’écris ma mère m’aime. Sa mémoire m’aime. » (repris en quatrième de couverture).
L’émotion retenue édictant un tempo crée son unité de mesure, l’approximative fixe, son tremblé papillon. Remonte du plus tréfonds la forme approximative fixe qui donne son essor au papillon.
Les parents de Cécile tenaient une maison de fin de vie (« “Toute ma vie je me suis occupée de petits vieux ” […] C’est à son tour maintenant de se faire bichonner » en EPHAD.
De phrase en phrase comment s’abolit la syntaxe, déverbale qui se désadjective se dessubstantifie. Comment le singulier s’accorde au pluriel. Comment, tout en reprises à grosses mailles, celles de mauvaise couturière qui rendent la pensée au plus juste, de mère à fille la grammaire grand-maternelle étire casse, renoue son fil.
D’ascendance espagnole par sa mère, et plus précisément galicienne, Cécile Guivarch, peut-être plus intensément encore que dans ses autres livres qui l’ont fait connaître, nous introduit ici au plus intime de son entre-deux à trois langues, tissée d’aimance sa quête de soi naissant au parler – dans la déréliction d’une mère qui perd son adhérence au réel. « Infiniment répéter les mots qu’elle m’a appris. »
Un poème, un seul, en espagnol, non traduit mais sa force s’en accroît– il en passe forcément quelque chose au Français qui comme moi ne parle pas l’espagnol – s’évase en mi madre, en galicien mia nai.
« Couverte de fleurs elle s’enfonce comme au commencement » – ces coquelicots de la page de couverture, fleurs qu’on n’arrache pas, dont l’illustratrice Pascale Marbot parsème le vermillon éclatant de quelques taches d’un parme en retrait, nuances dans l’ensoleillement de l’Alzheimer en bord de mère.