05 sept.
2008
Valérie par Valérie de La Rédaction par Nathalie Quintane
La Valérie en question est sur la couverture : une belle blonde à mèches qu'on dirait vulgaire si elle n'était froide - yeux bleus assez clairs pour paraître révulsés et annoncer quelque chose de littéralement mortel (un livre, seulement ?). Elle a candidaté au Bachelor saison 2, a été sélectionnée, n'a pas dû y rester longtemps. Le livre se présente comme une biographie à nègre apparent : La Rédaction (soit un groupe informel essentiellement représenté par Christophe Hanna).
La biographie négrifiée d'une étoile avortée, donc - bon sujet comme objet d'un livre de poésie contemporaine, a priori. Seulement voilà. Quelque chose résiste. Beau bizarre. Bizarre : étrange et vulgaire, d'abord, puis de plus en plus trouble - troublant.
Le livre semble se construire au fur et à mesure des différentes définitions-descriptions données de lui avant même qu'il s'écrive - exosquelette en guise de chair et de muscles plus que "mises en abyme" : un témoignage de bimbo, un livre de poésie, un essai, dit par exemple un tel, faire un livre, c'est aussi être capable d'exécuter un ensemble de gestes dans une situation spécifique, dit un autre, ou : Et quand je dis "écrire", j'entends par là, avant tout, faire partie d'un monde autre, où l'on s'occupe de chercher ce qui fait qu'un texte se distingue dans la masse de tout ce qu'on écrit.
Valérie par Valérie est fait d'un plaisir pris à provoquer des façons de parler (énoncés-types prélevés aussi bien chez Valérie que chez les amateurs de littérature, mis sur le même plan), à susciter des réactions face à des objets inconfortables (des vidéos d'exécutions, par exemple), pour mieux épingler des réflexes énonciatifs - et pour épingler tout court "littérature" et "belle fille". A ne considérer que cela (c'est-à-dire l'essentiel de son propos), le livre pourrait être lu comme une longue paraphrase illustrée du dernier Wittgenstein, celui des Remarques sur les couleurs (" Serait-il juste de dire que dans nos concepts, c'est notre vie qui se reflète ? Ils sont pris en elle. Que notre langue soit réglée, cela contraint toute notre vie.", " nous relions l'apparence à l'apparence ", etc), ou du De la certitude (" le jeu de langage n'est pas fondé. Ni raisonnable (ni non plus non raisonnable).")
Ne serait-il que cela, Valérie par Valérie serait un livre intelligent et puis c'est tout. Or, il ne rate heureusement pas sa propre carence, au sens où sa construction progressive, bricolée, le dédouane d'avoir à accomplir rigoureusement (toute) sa tâche. Du moins se donne-t-il la liberté de pouvoir y manquer.
Cette vulgaire étrangeté déjà signalée, c'est l'écriture qui nous la donne, cette écriture forgée par aller-retour successifs entre Valérie et La Rédaction- sorte de bâclé paradoxalement soigné, mélange d'anglicismes, de technicités de magazine féminin, de vulgarisations scientifiques et de raideurs philosophiques; bref : des phrases totalement décollées du sujet de l'énonciation, qui n'appartiennent pas (ni à Valérie, ni à La Rédaction), et sont parfois mises à distance par des classiques à la mode rochefoucaldienne (parce que la mort fait disparaître la part de soi qu'on craint sans arrêt de voir chez nos plus proches, et qui fait qu'ils peuvent parfois nous faire honte, vivants,
ou : la démence des vieillards n'est que ce qu'il reste de tactiques que suivent ces solitaires pour continuer : on ne les comprend pas parce qu'elles sont liées, dans leurs formes et déroulement, aux habitudes de couples dont la moitié est disparue.)
Et puis l'humour, qui vient faire ses dégâts : Les gens qui se moquent, pense-t-elle, se moquent soit d'un style d'apparence, soit de ce qu'ils ressentent comme un effort au style.
Alors, Valérie par Valérie = un "document poétique" ? Bien sûr qu'il correspond à la définition de Leibovici (" Le document poétique désigne cette classe de documents (...) qui invente des formats de synthétisation et propose des outils de description pour représenter de façon nouvelle des "problèmes publics"); on peut même parier qu'il a été écrit aussi pour ça (la collection Forbidden Beachrenvoie à la collection Réalités non couvertes, et vice versa). Quel que soit le côté vers lequel je tire ensuite le livre ("document" ou "poésie"), ce ne sera de toute façon que le produit du test de lecture qu'est ce livre - et tout livre (autrement dit : je ne peux m'en prendre qu'à moi-même et aux jeux de langage qui me gouvernent). Le retour à l'envoyeur est de toute façon programmé en amont puisque V. par V. teste en premier lieu ceux qui l'écrivent. Bouclage parfait ? Piège ? Ouvert alors, parce que la littérature, c'est ce dont on sort.
La biographie négrifiée d'une étoile avortée, donc - bon sujet comme objet d'un livre de poésie contemporaine, a priori. Seulement voilà. Quelque chose résiste. Beau bizarre. Bizarre : étrange et vulgaire, d'abord, puis de plus en plus trouble - troublant.
Le livre semble se construire au fur et à mesure des différentes définitions-descriptions données de lui avant même qu'il s'écrive - exosquelette en guise de chair et de muscles plus que "mises en abyme" : un témoignage de bimbo, un livre de poésie, un essai, dit par exemple un tel, faire un livre, c'est aussi être capable d'exécuter un ensemble de gestes dans une situation spécifique, dit un autre, ou : Et quand je dis "écrire", j'entends par là, avant tout, faire partie d'un monde autre, où l'on s'occupe de chercher ce qui fait qu'un texte se distingue dans la masse de tout ce qu'on écrit.
Valérie par Valérie est fait d'un plaisir pris à provoquer des façons de parler (énoncés-types prélevés aussi bien chez Valérie que chez les amateurs de littérature, mis sur le même plan), à susciter des réactions face à des objets inconfortables (des vidéos d'exécutions, par exemple), pour mieux épingler des réflexes énonciatifs - et pour épingler tout court "littérature" et "belle fille". A ne considérer que cela (c'est-à-dire l'essentiel de son propos), le livre pourrait être lu comme une longue paraphrase illustrée du dernier Wittgenstein, celui des Remarques sur les couleurs (" Serait-il juste de dire que dans nos concepts, c'est notre vie qui se reflète ? Ils sont pris en elle. Que notre langue soit réglée, cela contraint toute notre vie.", " nous relions l'apparence à l'apparence ", etc), ou du De la certitude (" le jeu de langage n'est pas fondé. Ni raisonnable (ni non plus non raisonnable).")
Ne serait-il que cela, Valérie par Valérie serait un livre intelligent et puis c'est tout. Or, il ne rate heureusement pas sa propre carence, au sens où sa construction progressive, bricolée, le dédouane d'avoir à accomplir rigoureusement (toute) sa tâche. Du moins se donne-t-il la liberté de pouvoir y manquer.
Cette vulgaire étrangeté déjà signalée, c'est l'écriture qui nous la donne, cette écriture forgée par aller-retour successifs entre Valérie et La Rédaction- sorte de bâclé paradoxalement soigné, mélange d'anglicismes, de technicités de magazine féminin, de vulgarisations scientifiques et de raideurs philosophiques; bref : des phrases totalement décollées du sujet de l'énonciation, qui n'appartiennent pas (ni à Valérie, ni à La Rédaction), et sont parfois mises à distance par des classiques à la mode rochefoucaldienne (parce que la mort fait disparaître la part de soi qu'on craint sans arrêt de voir chez nos plus proches, et qui fait qu'ils peuvent parfois nous faire honte, vivants,
ou : la démence des vieillards n'est que ce qu'il reste de tactiques que suivent ces solitaires pour continuer : on ne les comprend pas parce qu'elles sont liées, dans leurs formes et déroulement, aux habitudes de couples dont la moitié est disparue.)
Et puis l'humour, qui vient faire ses dégâts : Les gens qui se moquent, pense-t-elle, se moquent soit d'un style d'apparence, soit de ce qu'ils ressentent comme un effort au style.
Alors, Valérie par Valérie = un "document poétique" ? Bien sûr qu'il correspond à la définition de Leibovici (" Le document poétique désigne cette classe de documents (...) qui invente des formats de synthétisation et propose des outils de description pour représenter de façon nouvelle des "problèmes publics"); on peut même parier qu'il a été écrit aussi pour ça (la collection Forbidden Beachrenvoie à la collection Réalités non couvertes, et vice versa). Quel que soit le côté vers lequel je tire ensuite le livre ("document" ou "poésie"), ce ne sera de toute façon que le produit du test de lecture qu'est ce livre - et tout livre (autrement dit : je ne peux m'en prendre qu'à moi-même et aux jeux de langage qui me gouvernent). Le retour à l'envoyeur est de toute façon programmé en amont puisque V. par V. teste en premier lieu ceux qui l'écrivent. Bouclage parfait ? Piège ? Ouvert alors, parce que la littérature, c'est ce dont on sort.