Pédagogie est crime par Jacques Demarcq

Les Incitations

16 mai
2007

Pédagogie est crime par Jacques Demarcq

Cherchant des nouvelles de Cummings sur Internet, je tombe sur la publication d'un lycée privé de Marseille : Poésie en espace, ateliers d'écriture des élèves de seconde BEP Carrières sanitaires et sociales, 2006. Deux profs et un « poète intervenant », dont je ne citerai pas les noms, se donnent pour but de « sensibiliser » les mômes à la poésie et d'améliorer leur expression écrite - ce qui n'a pas forcément de rapport, mais passons. Trois « poètes contemporains » (le contemporain est gage de communicabilité) sont donnés en modèles à imiter : Grangaud, Cummings (Ü 1962) et Alféri. De Cummings est cité, si l'on peut dire, le premier des 95 Poèmes : en un bloc informe, la structure strophique écrasée - un acte de barbarie ! Puisqu'il s'agit de non-reproduction, aucune autorisation n'a bien sûr été demandée à l'éditeur : le viol de la lettre associé au vol du texte. L'ex-poème est commenté à partir de ma postface à je:six inconférences (Clémence Hiver éditeur), dont ne sont retenues que quelques clés, sans la porte sur l'univers mental de Cummings. Rien d'étonnant à ce que les pauvres imitations des élèves traduisent seulement leur soumission aux pires conventions sanitaires et sociales : « la joie, elle va se marier ».
Les belles âmes diront que ces animations changent les malheureux élèves du rap ou du slam à quoi les voue au mieux leur classe sociale (ils sont en BEP). Bref, de la poésie élitaire pour tous ! Mais ce n'est qu'une manière d'entretenir l'illusion démocratique qu'ils ont et auront les mêmes droits que les nantis. Ils les ont déjà si peu, ces droits à vivre avec un peu de culture pour se défendre de la société, qu'on leur fourgue des poèmes concassés assortis de commentaires purement techniques visant à les rendre productifs d'imitations, et leur éviter de prendre la moindre liberté. Que des profs collaborent à cet asservissement, c'est dans la logique de la formation utilitaire que délivre désormais l'université. Que des « poètes » leur prêtent main pour gagner quelques sous n'est que la preuve de leur misère. Et que ce genre d'animation scolaire ait été au programme des deux candidats finalistes à la présidence de la République est un symptôme de la démagogie communicative. Je sais, tous les animateurs « poètes » ou « artistes » ne sont pas aussi mauvais ; mais il s'agit d'être bon, et en matière de poésie et d'art, cela consiste avant tout à ne pas servir .