Dans le style de l'attente, Jean-Marie Gleize par Laurent Zimmermann
Dans le style de l’attente, livre où alternent, comme dans les autres derniers livres de Jean-Marie Gleize, proses et poèmes tous deux entraînés vers un plus de prose qui arase le dire pour lui faire atteindre une poésie sèche, de l’essentiel, du sable qui se déplace sous le vent alors que « Le ciel à présent domine le reste », est « « entré dans les bouches ouvertes », est un livre du revenir. Mais du revenir en avant.
Revenir à un nom tout d’abord, qui emporte des lieux, des objets, des mots. Et surtout, d’autres, un « plusieurs » qui revient non pas dans ce qu’il a été à l’époque, mais dans ce que le présent en aura fait, ne cesse encore d’en faire. La pierre ici et là marquée dans le village de Tarnac inscrit un dès avant, dès avant d’écrire, dès avant l’existence même de celui qui écrit mais aussi un en avant, dans un présent voué à continuer avec ces traces du nom pour plusieurs. Un sens, certes, est donné – celui d’« église ». S’il y a à écrire cependant, ce n’est pas à partir de hauts faits ou d’un pittoresque quelconque qu’il serait possible, ici comme ailleurs, de trouver, mais bien à partir d’un effacement, du partage de ce que les inscriptions dissipent aussitôt qu’elles l’affirment, au profit de ce qui est, autour, de ce qui existe. Ainsi, d’emblée, à peine dit ce départ, on s’engage vers le chemin en forêt, suit « cet ancien lit de ruisseau », passe « sous les basses branches des aulnes », foule « les orties et les valérianes ». Non pas l’orgueil d’imposer son histoire et celle de plusieurs, mais le travail de revenir, en avant, au monde, par l’inscription vouée à s’effacer devant ce qui est.
Le style de l’attente est cela, ce temps qui s’arrache à tout présent affairé pour s’accorder à un immémorial tenant d’abord du plus élémentaire. Avec aussi, tout aussi arasé et nu, l’effroi venu qui y entraîne : « comme dans ce portrait en date du 26 novembre 2004 et dont le visage n’en revient pas d’être soudain là, à nous faire face, la bouche opiniâtrement close, comme « cousue » en dedans, et un regard aphone qui bée au dehors ». Force close, mais qui se retourne : « Le regard interloqué de quelque analphabète, et qui, enfin parvenu à bout de langue, ne peut plus que faire appel ». Des inscriptions pour plusieurs aux mots tracés par celui qui écrit, reste, mais débarrassée de toute demande – qui en renierait la vérité –, la voix de cet appel, que tout le livre fait entendre.
Peuvent alterner alors aussi bien le journal, le document familial, le souvenir, de la mère, du père. Dans une saisie qui sort de toute anecdote, qui la délaisse dès l’abord pour ne plus entendre et faire entendre, voir, que l’élémentaire, comme en donne le canevas par exemple ce rêve noté : « vu Paul Otchakovski le bras droit atrophié. Repas autour d’une petite table dans un lieu indéterminé et lointain, avec de jeunes écrivains antipathiques ». Qu’importe ici de qui il s’agit, la discussion qui a eu lieu, le rêve a arasé le réel vers ce qui devait en rester pour s’accorder aux chemins des inscriptions et de la forêt. Il en ira de même lorsqu’il sera question de Victor Hugo, passant dans une page sans son nom, sans son œuvre, dans la tenue simplement d’une ambition élémentaire d’arriver au commun, au banal, à une poésie « contre le vent ».
Car tel est l’enjeu du livre, et c’est en quoi le mouvement de revenir, avec lequel le matériau traité est mobilisé, y est un mouvement en avant. C’est qu’il s’agit d’atteindre un « présent (qui) déborde ». D’où ces poèmes alors qui surgissent, émouvants, nombreux, tendus vers la disparition qui fait tout apparaître. Ainsi :
Mais rien ne bougerait sur les quais du fleuve
L’herbe jaunie entre des pierres
(La même musique)
Cette musique répétée dans les vitrines
Mais comme un moteur
Et toujours l’instant fléché de la foudre
(et quels remous d’algues) (à cet instant)
Il lui avait donné un peu de sable d’Égypte
Ouvrant les dernières pages, la phrase « Je recopie plusieurs fois mon enfance dont je ne sais rien » prépare l’arrivée de la dernière : « Parce que la terre alors avait tremblé et que l’obscurité était tombée sur la scène ». Il n’y a pas, de l’enfance à l’obscurité tombée sur la scène, de savoir à fabriquer, de sens encombrant à faire valoir. C’est bien tout le contraire. Dans l’effroi et une joie néanmoins qui vient du présent vif, dans son effacement, il y a un peu de sable au vent à trouver. Sable au vent qui est le seul lien, par l’appel nu, à ce qui est, pour nous toutes, tous – et partageable. C’est ce que nous offre ici, et non pas venu d’Égypte mais de son histoire, Jean-Marie Gleize.