Fabrice Rebeyrolle (peintures), Isabelle Lévesque (poèmes), par Tristan Hordé
Des objets noirs, grands sacs posés verticalement contre un mur, trois ou six se soutenant, ou un seul, ce sont ELLES, femmes sans corps ni visage, empaquetées dans un tissu couleur de nuit, de deuil — deuil de la vie d’où elles ont été retirées au nom de préceptes religieux —, et seule une étroite fente laisse deviner le regard. Les onze peintures de Fabrice Rebeyrolle* les présentent sans mouvement, une seule dans une lourde prison bleue découvre ses pieds sous le niqab. Que le fond des peintures soit gris ou bleu, sienne ou rouge orangé, les femmes semblent toujours être isolées, jamais dans un lieu vivant, jamais dans la rencontre avec autrui, toutes semblables, anonymes, interchangeables, n’existant pas comme individus.
Les minces fentes qui permettent de voir, non d’être vues, sont le seul signe pour rappeler que les tissus recouvrent des femmes, chacune « silhouette indiscernable », spectrale, image terrible du silence imposé. Ce silence — mais la protestation (« NON ») serait réprimée, est impossible —, l’absence d’échange, sont présents dans l’ensemble des poèmes ; « muet », « silence » sont des mots qui reviennent, d’autres disent autrement la mort à autrui, « pierre », « parole secrète », « cri informulé », « langue refusée », « statue », « pétrifiée ». Isabelle Lévesque exprime aussi ce retrait du monde auquel les femmes sont soumises par des formes négatives (« Ce n’est pas pour vivre cachée ») et interrogatives (« Les yeux sont-ils fermés lorsqu’ils s’ouvrent / sur l’autre monde ? ». Il n’y a pas de réponse aux questions, il reste à dire la vie niée.
Ce qui est refusé aux femmes, en effet, c’est de « paraître », d’être ici ou là, visibles comme telles, de montrer leur visage, leurs mains, d’être reconnues, connues. Être invisible en tant que personne dans l’espace fait du même coup sortir du temps et les femmes deviennent mortes parmi les vivants avec le visage couvert d’un « linceul » et l’obligation de la « vie recluse ». Dans le dernier poème, Isabelle Lévesque imagine entre « six étoffes six voiles le cri / de l’une à l’autre [qui] roule et revient, / liant le tissu du paraître à chacune », et ce cri pourrait prendre de l’ampleur, portant « l’espoir ». On ne peut que le souhaiter.
L’ensemble est présenté par Sylvie Fabre G. dont la conclusion ne s’entend pas seulement aujourd’hui en pensant à l’œuvre de Rebeyrolle, ouverte sur la violence du monde, et à ce que peut la poésie, « la quête croisée [du peintre et de la poète] met en lumière la nécessité d’un universel et le chemin d’une résistance à l’inhumain ».
* Les toiles et papiers, sous le titre « COEXISTER » sont exposés à la Galerie Capazza, à Nancay-en-Sologne (Cher) du 26 mars au 26 juin 2022.