Georges Perros, Henri Thomas, correspondance 1960-1977 par Tristan Hordé
Une bonne partie de la correspondance de Georges Perros (mort en 1978) a été publiée à partir de 1980 et son œuvre est rassemblée en un volume (Quarto / Gallimard, novembre 2017) préparé par Thierry Gillibœuf, à qui l’on doit déjà l’édition de la correspondance avec Jean Paulhan (éditions Claire Paulhan, 2009). Il est bon de lire les lettres de G. P. échangées avec Henri Thomas (1912-1993), dont les poèmes, romans, récits et essais — une quarantaine de volumes —, presque tous chez Gallimard, n’ont pas encore été rassemblés.
Henri Thomas enseignait la littérature française aux États-Unis, à Boston, quand il a reçu Papiers collés à leur parution en 1960, second livre publié par G. P. après Poèmes bleus, tous deux dans la collection "Le Chemin" fondée par Georges Lambrichs chez Gallimard. Cet envoi marque le début de la correspondance entre les deux écrivains. Ils se rencontrèrent peu, quelquefois à Paris, H. T. différant à plusieurs reprises un séjour à Douarnenez où vivait G. P. ; il se demandait en 1964 quand il ferait le voyage et écrivait en août 1967, « Douarnenez me reste inconnu pour un temps encore », et six ans plus tard, « Je fais toujours le songe d’aller vous voir à Douarnenez ».
Il s’y est enfin rendu en 1975, après que G. P. eut appris qu’il était atteint d’un cancer de la gorge. Cette année-là, G. P. avait obtenu une année sabbatique. Il a subi une ablation de cordes vocales à Marseille, où il était soigné ; rééduqué, comme d’autres malades, pour que soit rétablie une forme élémentaire de communication, il racontait les tentatives « pour retrouver une parole œsophagienne », en concluant « On s’est parfois plaint de ma parole. On pourra maintenant s’énerver de mon silence. » H. T. est revenu à Douarnenez en décembre 1977, un mois avant la mort de son ami, le 24 janvier 1978. L’amitié entre eux s’est d’abord fondée sur la reconnaissance réciproque d’une écriture. G. P. se retrouvait dans les études critiques de H. T., celles par exemple de La Chasse aux trésors dont il écrit, « Vous avez la dureté des poètes. Et leur tendresse » ; recevant Le Parjure, il y lit « ce déchirement d’être là plutôt qu’ailleurs » et regrette de si peu connaître son auteur, ajoutant « Je me sens moins seul, à vous imaginer ».
Tous deux avaient également des manières analogues de voir et de penser les choses du monde. Les considérations de G. P. sont d’un homme sans illusions, « La vie, ça tient dans un dé à coudre. Mais, faut se taper tout le reste », et les conclusions de H. T. à propos de son activité ne le sont pas moins quand il confie, « écrire est mon seul mode d’être en vie ». La proximité de vues n’a pourtant conduit que fort tardivement au tutoiement et ce n’est qu’à partir de juillet 1975 qu’il est devenu de mise, G. P. sollicitant alors un article sur Corbière pour une revue amie, Ubacs.
Leur correspondance a été relativement peu importante : 32 lettres de G. P., 26 de H. T., aucune par exemple entre 1964 et 1967, entre 1969 et 1972, peut-être parce qu’aucune n’a été retrouvée pour ces périodes. La maladie de G. P. change la relation épistolaire, puisque 16 lettres ont été écrites par l’un et l’autre de 1976 à décembre 1977. Comme plusieurs de G. P., celles de H. T. ont été alors plus développées ; il rapportait, notamment, les déboires amoureux de sa fille en Grande-Bretagne, donnait des nouvelles de la Nouvelle Revue Française (Lambrichs en a pris la direction en 1977), ou brodait autour des aventures d’un chat qui, recueilli dans son appartement et apporté en banlieue chez Pierre Leyris, avait finalement disparu — anecdote que connaissait G. P. : elle lui avait été relatée par Paul de Roux. L’amitié passait par la correspondance, dont H. T. souligne régulièrement l’importance pour lui ; ainsi : « Je reçois tes deux lettres qui font ma joie. Il me semble que je vis, ça ne m’arrive pas si souvent » (25 février 1977), et un peu plus tard, il s’émeut de « cette flambée d’amitié, qui me vient de toi, et me fait croire à la vie. C’est plus étrange que je ne le dis là » (8 mars 1977). Mais l’amitié se manifestait aussi autrement ; invité à l’émission de Claude Royet-Journoud, "Poésie interrompue »", G. P. lit des poèmes de H. T. et il écrit, en 1977, la 4ème de couverture de La Nuit de Londres repris dans la collection "L’imaginaire".
On lira la préface de Jean Roudaut *, qui définit finement sa relation aux deux hommes, « nous nous plaisions non par la similitude de ce que nous étions mais de ce qui nous manquait ». Dans la postface il propose un portrait de l’un et l’autre ; ils sont suivis d’une évocation de G. P. par H. T., parue dans la revue Ubacs en 1984, et d’un extrait des Papiers collés, 2 (1973) consacré à H. T. L’établissement d’une telle correspondance est affaire délicate : des lettres ne sont pas datées, les événements passés sont plus ou moins compréhensibles, etc. ; Thierry Bouchard fait revivre ces lettres sans les surcharger d’explications mais, toujours précis, il suggère par ses notes d’autres lectures. Cette édition est une réussite qui complète heureusement les volumes de correspondance déjà parus de Georges Perros — on ne connaît qu’un Choix de lettres de Henri Thomas (Gallimard, 2003).
* Jean Roudaut a consacré un essai à l’œuvre de Georges Perros (Poètes d’aujourd’hui, Seghers, 1991) et leur correspondance a été publiée en 1981 (Faut aimer la vie, Eibel/Fanlac).
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