Iris & Métis, Messagères bleues des muses, n° 1 par Tristan Hordé
Revue annuelle de grand format (in-folio 20cmx30cm), Iris & Métis se définit, c’est son sous-titre, comme « revue féministe internationale, paritaire & multilingue de poésie ». Elle est éditée à Grenoble par Pan des Muses, Société Internationale d’Études des Femmes et d’Études de Genre en Poésie, fondée, comme la revue qu’elle dirige, par Dina Sahyouni. En dehors de l’éditorial, le premier numéro est consacré à Frédérique Guétat-Liviani (biographie, bibliographie, plusieurs photographies) et à dix de ses poèmes qui ont pour thème des légumes, extraits d’un ensemble intitulé espèce, composé de sept groupes de poèmes. L’éditorial présente espèce comme acte politique, puisque refusant « l’exploitation de formes de vie dites inférieures au profit d’autres, considérées comme supérieures. »
Ce thème est développé par l’auteure en dernière de couverture dans « Focus sur « espèce », qui inclut dans son projet une installation de dessins dont chacun représente « un fragment de la peau d’Io » — on se souvient que la jeune Io fut transformée par Zeus en génisse. Elle explicite également son usage de la langue : « Le contenu d’ « espèce » ne comporte ni majuscules ni points pour fermer les frontières. Entre les propres et les communs, les rapports de force sont abolis. » Ah ! s’il suffisait de supprimer la ponctuation pour changer les rapports de force ! On peut toujours croire que les rapports d’exploitation (ne) se passent (que) dans la langue, cette croyance ne modifiera pas leur nature. De même, porter dans son giron une poule — comme on le voit sur une des photographies de l’auteure (« FGL et Poupoule ») —, pour être sympathique reste un acte individuel qui ne convaincra pas les éleveurs industriels de cesser leur massacre, ni d’ailleurs la plupart des lecteurs et lectrices de vivre autrement leur relation aux animaux, domestiqués ou non.
Ce qui peut paraître une digression est nécessaire pour lire les poèmes, puisqu’ils sont explicitement une illustration du projet. Ils sont présentés sans majuscules ni points en effet, mais chacun cependant dans des « frontières » : celles du titre et des trois étoiles qui les séparent successivement, et des blancs suppléent l’absence de virgules. Il s’agit pour la plupart de courts récits, un légume étant mis en scène ; le premier poème par exemple, "les oignons", met en scène un vieillard qui prend le métro, son sac d’oignons s’ouvre et les bulbes roulent, les voyageurs les ramassent, « le repas est sauvé ». Pour l’aubergine, on lit des indications sur la nature du légume, la nécessité de la manger cuite (« crue (« ne la mets pas dans la bouche »), etc. Pour les fèves est évidemment évoqué le tirage au sort en fin de repas de la fève dans la pâte, puis l’achat des fèves fraîches, leur épluchage, leur transformation, mais aussi l’absence des enfants pour chercher la fève dans les gâteaux, ce qui ouvre le poème (« depuis quelques années il n’y a plus d’enfants dans nos maisons ») et le clôt (« les enfants ne reviendront plus // quel que soit le festin du soir »). Disparition dont rien ne sera dit ailleurs, cependant ici et là des allusions aux violences apparaissent, par exemple : « à l’est on fêtait les esclaves affranchis // les voici devenus soldats // boîtes crâniennes ouvertes » ("les betteraves"), « on dépèce les corps ébouillantés » ("l’artichaut"), « les côtes fracturées les feuilles arrachées » ("le céleri"), « dans les usines on triture on sublime // c’est l’incendie que l’on craint » ("le chou-fleur").
Exaltation du vivant, donc, sans bouleversement de forme, sauf à en trouver un dans l’abandon de la ponctuation. Peut-on penser à une mise en cause d’une hiérarchie des êtres vivants dans l’insistance à montrer les contraintes subies par les légumes ? Peut-être. Les poèmes de Frédérique Guétat-Liviani pourraient en tout cas être lus dans les classes, sans trop se souvenir du projet général de l’auteure et de la revue.