Je vais simplement m'habiller comme tout le monde de Hugo Pernet par Bertrand Verdier
Je vais simplement babiller comme tout le monde
"Nous n'en sommes plus à débattre de la poésie des mots.
Tous les problèmes de la poésie se ramènent à un problème de signification,
c'est-à-dire d'exposé du décalage"
(Denis Roche, Récits complets)
De « ces poèmes [qui] ont été écrits entre novembre 2014 et septembre 2015 », Hugo Pernet a produit, ici et là, de nombreux commentaires et circonstances qui témoignent d'une exigeante cohérence, tant de sa conception de la poésie que de sa mise en pratique. Ainsi, la surprenante couverture de ce volume, indiquant uniquement « streetwear poem » (en rouge et bleu, comme il se doit dans ces références aux couleurs du drapeau fédéral états-unien qu'arbore usuellement ce genre d'habillement), cette couverture se donne à lire doublement : à la fois comme stricte application du titre (« Je vais simplement m'habiller comme tout le monde ») et comme sa dénonciation, dans la mesure où l'habillage de ce livre est pour le moins singulier. Selon Hugo Pernet (également peintre) en effet, l'artiste ne peut plus se permettre de perpétuer les anciens codes, éculés, de son élection : il doit, au contraire, « s'habiller comme tout le monde », c'est-à-dire adopter un « style » qui consiste en une absence de style. Mais qui se double de la revendication de cette dépersonnalisation : « j'avais un style, je l'avais dans la main/la main s'ouvre et se ferme/j'ai perdu mon style ». C'est le même rapport à la poésie qu'entretiennent les 6 sections qui composent le volume où, « témoign[ant] de façon continue que la poésie est une convention (de genre) à l'intérieur d'une convention (de communication) »1 , Hugo Pernet attaque tous azimuts et l'horripilant ressassement de ces conventions et leur mercantilisation. Les 3 « vers » qui ouvrent le « recueil » : « le réel/augmente/le poème diminue » se prolongent ainsi, tout au long des pages, d'énoncés métapoétiques : « La poésie qu'on porte sur soi, comme produit dérivé de la vérité. », puis, quelques pages plus loin : « mon poing dans ta gueule/n'est pas une métaphore » jusqu'à la conclusion en prose sans rose : « La géométrie n'existe pas dans la nature. Ou plutôt si, elle existe, mais alors ce n'est pas de la géométrie : c'est la nature. C'est la même chose pour les métaphores. Les rapaces ne décrivent pas des cercles au-dessus de leur territoire. » En outre l' instrumentalisation, la récupération de la « poésie poétique » la rend encore plus « chiante » : « Que font ces mots ensemble, à cet endroit du texte ? On fait de la publicité », dont la vacance parsème le volume : « de l'eau/à l'état pur/(attendez-vous/à une avalanche de pureté) », « chef-d'œuvre de climatisation », … Métaphores, style, élection, … : « Non ! Ces saletés-là datent de nos papas ! »2 ; la pratique artistique de Hugo Pernet privilégie donc à l'opposé la tactique du streetwear : le vestiaire des mots de tout le monde (« des mouches qui chient sur ton clavier », « il faut nourrir le chat », « à lire en mangeant des chips », …) se double de la revendication de cette dépersonnalisation. Et ainsi la nie, ou tend à la voir niée, en ce sens que la lecture d'un streetwear poem pourrait enclencher une appropriation commune et activiste d'un tel second degré.
Cette souhaitable propagation se fonde sur l'indistinctibilité des registres du texte, soulignée comme principe : « ce ne sont pas vos pensées ni vos mots, ni les miens », qui implique que tout (donc rien) y relève d'un processus citationnel permanent et universel, conscient ou non. Il s'ensuit une implacable et terrifiante formule : « Si rien n'est vrai, tout n'est pas pour autant complètement faux. » Une double page de la section 1 porte ainsi ces seuls 3 mots : « juste un déplacement », ligne unique en haut de la page de droite, celle de gauche demeurant vierge. Cette mise en avant - car Hugo Pernet sait aussi jouer de/avec les conventions qui signalent un livre « de poésie » - peut s'envisager comme une caractéristique de sa poésie : il prélève ce qui n'appartient à personne, donc à tou-te-s, et le déploie dans un volume fortement indexé comme poétique. À la lectrice, au lecteur, d'identifier (hormis les deux correspondances en italiques, spécifiquement sourçables de l'auteur), non la provenance, mais l'intonation de ces déplacements, de ces prélèvements ici placés sans commentaire. Poésie serait ainsi à la fois ce qui revêt les apparences de la convention (je vais simplement faire de la poésie comme tout le monde), mais dont la nudité intégrale contraint lecteurs et lectrices à mettre en cause ce qu'ils nomment poésie, qui ne s'identifie pas davantage à/par des tropes qu'à/que par des formes ou un lexique spécifiques. Hugo Pernet, en fin stratège, fait accroire que lui-même circule dans les doutes : « je n'ai même plus l'impression d'être poète […] je vais simplement poser ma cervelle sur la table – et la regarder fondre » (i. e. : sans se la creuser). En se la mâtinant d'éléments réputés apoétiques, en la désignant fondue (fonte?), l'auteur rappelle que la poésie a également une fonction sociale et la requinque de cette essentielle solidarité du poète qui simplement babille comme tout le monde : « La poésie est le muscle du faible […] Se muscler pour rester faible ». La poésie n'a rien à voir avec le bleu du ciel, lequel n'est pas toujours rose (« la métaphore passe »), mais plutôt avec le mur de chaux du fond, et le muscle doit s'entretenir parce que la lutte est incessante. Un appel s'ainsi lance pour que « dans la rue et à la maison » simplement chacun-e (mariée, célibataires, …) s'approprie ces mots tel que Hugo Pernet sait si bien les babiller.