Jean-Pierre Chambon, Étant donné par Lionel Bourg
Des nuages, lourds, opaques.
Des vieilles gens occupés à ravauder leurs songes.
Des feuilles qui tremblent comme les paupières d’un enfant privé de sommeil. Des minutes soyeuses. Du sable égrené dans la nuit quand on ne parvient pas à s’endormir. L’eau tranquille d’un lac. Rien. Ou si peu. Des minutes infiniment mélancoliques toutefois et qui s’offrent au veilleur penché sur un carnet tandis que l’ombre tamise l’étroite lumière tombée d’un rêve inassouvi…
Il y a tout cela, bien sûr, dans les vers de Jean-Pierre Chambon. Tant de tendresse inquiète, de gouttes de pluie ou de flocons de neige au sein de leurs propres ténèbres, des magnolias, une fleur de giroflée « surgie d’un interstice du carrelage » dans la cuisine, chaque part de soi, chaque moment de vie comme la plus légère boursouflure du réel ressemblant aux lézardes qui scarifient le champ des significations : une marche de pierre descellée, une toile d’araignée dont les fils noués retiennent les fantômes auxquels on a confié depuis toujours quelques lambeaux d’imaginaire.
Étant donné, donc.
Le bruit d’un tramway. Des bouts de papier. Une sorte d’engourdissement. De qui-vive pourtant. L’attention minutieuse dont Chambon fait preuve avec une douceur lancinante au fil des pages de ce très beau recueil, l’un de ceux, rares, que l’on gardera longtemps à portée de main au chevet de ses insomnies.
Justesse des rythmes. Des images.
L’échancrure du temps où passent des étoiles, un oiseau, la lueur du soleil matinal qui pigmente petit à petit la tapisserie de la chambre, si bien que l’on se lève, pousse les battants de cette fenêtre que l’on n’osait ouvrir, la mort même hésitant avant de se figer « dans la stupeur d’un instant éternel ». Jean-Pierre Chambon en saisit la présence éphémère avec une extrême délicatesse. Perle de sang rosie par la clarté naissante, plumes dispersées au vent, tuiles, lichen, pas familiers d’un père sur un chemin ou sourire d’une mère, l’auteur progresse ainsi « entre un présent criblé d’oubli / et la permanence vacillante d’un avenir », de grands peupliers s’inclinant au bord de la rivière qu’il regarde lentement couler. On s’assoupirait sur la berge. Embrasserait l’écorce d’un saule. Heureux, peut-être, malgré ou à cause de l’agonie doucereuse d’un monde où l’on se promène volontiers, même las, même triste, léger soudain parmi les choses qui demeurent à jamais en partage.