Jean-Pierre Chambon, Je ne vois pas l’oiseau par Lionel Bourg

Les Parutions

15 juil.
2022

Jean-Pierre Chambon, Je ne vois pas l’oiseau par Lionel Bourg

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Jean-Pierre Chambon, Je ne vois pas l’oiseau

         C’est au cours de cinq très beaux textes, cinq « nouvelles », que Jean-Pierre Chambon nous conduit par les chemins singuliers où, tout semblant s’enraciner dans une normalité de bon aloi, d’imperceptibles déplacements des points de vue transforment le moindre fragment de vie en instant si décisif que nul ne pourra prétendre ne pas avoir été bouleversé.

         Des oiseaux en trament l’étoffe qui, s’apparenterait-elle à celle des songes, n’en demeure pas moins ici matière solide, les « personnages » qui n’échangent guère que des poignées de mots s’estomperaient-ils sitôt qu’ils entrent en relation avec des mésanges, des aigles, des pigeons, des pies, des corbeaux. Dès lors, du perroquet veillant sur le sommeil d’une jeune femme, aux faisans dont les plumes rousses striées de noir font office de talisman, des pigeons qui boitillent sur le rebord d’une fenêtre au dindon (« la roue parfaite de sa queue en éventail et les reflets de cuivre émaillant son plumage, et surtout l’étrange baroquerie de sa caroncule rouge et du masque bleu électrique entourant ses yeux, faisaient de ce gallinacé un composite de chimère phénoménale et de prodige ornithologique, chez qui la magnificence du maintien venait contrebalancer le grotesque de l’accoutrement »), des hiboux aux moineaux, une espèce de nature frémissante et une humanité en quête d’un monde enfin nouveau ne cessent de se fuir ou de s’apprivoiser.
Chambon en appelle alors à Guillevic.
Témoin privilégié, le vieil enfant « au visage rond et massif souligné d’une barbiche blanche » avait noté, « avec cet art lapidaire qui caractérise sa poésie » :

Je ne vois pas l’oiseau
Qui serait mon frère

 

Non plus celui
Qui ne le serait pas

si bien que pour clore le volume, ou l’ouvrir plus largement, toutes ailes déployées, Jean-Pierre rapporte que l’auteur de Terraqué, longtemps en fonction au ministère de l’Êconomie, rue de Rivoli, se rendait assez souvent au Louvre pendant la pause du déjeuner. « Je l’imagine alors, poursuit-il, posté devant le panneau au fond d’or craquelé de La Prédiction de saint François aux oiseaux, en train de contempler les volatiles peints par Giotto venus en couples écouter la bonne parole du prêcheur et recueillir à l’occasion, pieusement comme si c’étaient des bribes eucharistiques, quelques miettes d’amour et de pain échappées de sa main. »

         Mais ces oiseaux, tendres boules de chaleur recueillies dans la paume, rapaces, loriots, canaris, n’ont au mieux de réalité qu’éphémère, pris qu’ils sont entre le remue-ménage des feuillages et les cages au sein desquelles trop de conteurs, trop de chamans en manque de champignons hallucinogènes, trop de prestidigitateurs enferment l’imaginaire : des dames fort élégantes leur distribuent des graines empoisonnées, un « marchand installé à quelques pas de la mosquée Nuruosmaniye et de ses fins minarets annelés plantés comme des seringues dans le ciel », revend, à Istanbul, des ramiers que l’on avait croisés « chez un colombophile patenté » de Grenoble ou de Paris, de Nice, de Cherbourg ou de Lyon, de Saint-Etienne peut-être.
           Mieux vaut écrire.
          Tracer avec beaucoup de soin et de respect des mots aussi vivants que des tourterelles, coudre, découdre ou ravauder sans trêve ce tissu dont se drapent les rêves. Jean-Pierre Chambon, comme toujours, y réussit à merveille.

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