Confins maritimes de Yves Peyré par Lionel Bourg
Yves Peyré, heureusement allais-je dire, n’appartient pas à l’escouade tumultueuse des écrivains-voyageurs, et si, au gré d’amicales invitations, il fréquente le festival de Saint-Malo, c’est sans le moindre doute le poète exigeant, le prosateur de haut vol et le critique d’art à l’œil acéré qui se rend volontiers dans la cité corsaire.
En fait, la Bretagne (Chateaubriand n’est jamais très loin, ni Corbière, ni Saint-Pol-Roux, ni le trop oublié Yves Elléouët, la voix de Léo Ferré s’immisçant en sourdine « entre les persiennes du sang » et « un chien de mer libéré sur parole… ») s’inscrit dans les errances de l’amoureux d’une somptueuse Venise réfléchie1, contrée intime, charnelle presque, les pages qu’il a récemment réunies au sein de Confins maritimes, qu’elles soient poèmes ou proses, notes de séjour, souvenirs, balades itinérantes, illustrant comme peu d’autres ce que la littérature propose quelquefois dans ses rapports avec les lieux, les espaces, la fuite ou la stagnation du temps.
Ne tergiversons pas.
Ce livre est d’une beauté que l’on ne rencontre pas à tous les coins de librairie.
Ses différentes parties, liées étroitement bien sûr, articulées avec un soin constant, s’enchaînent d’une telle manière, judicieuse, éclairante, qu’elles trament une espèce de récit, l’intensité des choses vues, et vécues, scrutées, interrogées, intégrées à la sensibilité de l’auteur, ne laissant pas même un peu d’écume de côté : les enclos paroissiaux, le chemin des douaniers, les champs de menhirs, les chapelles et, surgi au ras des eaux ou des sables, le mont Saint-Michel, véritable épicentre de cette navigation à l’estime entreprise au fil des années par un homme en quête de L’horizon du monde2 déterminent les va-et-vient de qui se confronte sans cesse à l’évidence comme aux énigmes d’un pays auquel il lui faut toujours boire à la « source du vent ».
Dans ces terres d’Armor, « la roche saigne, violacée et comme meurtrie ».
Le promeneur ainsi, puisque
le vent souffle sur le roc,
et que
l’espoir des bruyères s’insurge…
s’émeut « du sentiment de voir la terre finir, de sentir le chaos des rocs se défaire dans la mer qui rugit et s’écrase, battant de toute la force de sa violence ce qui se dresse sur son chemin », ce promeneur, frappé, giflé par la stupeur comme par le bonheur qu’il éprouve à l’instant où tout paraît à l’agonie, hésite, se précipite à l’intérieur d’une église boueuse, laquelle semble trembler entre les nuages et « le balbutiement de propos mythiques ». Des tombes, alors. Des cris, des mouettes, des corbeaux et des cormorans, la lande où la tristesse fleurit dans l’air que l’on respire (« terre avare, éternellement râpée », écrit Yves Peyré, titubant sous une bourrasque…), les ajoncs, quelques pampres de chèvrefeuille, rien ne saurait vraiment rendre compte de cette « Bretagne au cœur », offerte par un écrivain dont la discrétion n’a d’égale que la conscience d’avoir à ne pas désespérer d’une langue capable de se soustraire aux normes de la « production standard ».
L’ouvrage ne serait peut-être pas complet si les lavis de Loïc Le Groumellec ne l’accompagnaient pas. Yves Peyré aime la peinture. Et les peintres. Il ne les oublie donc pas. Au reste, ce poème n’est-il pas un tableau :
C’est déjà loin, la rencontre des eaux
et du soupir,
la grisaille recouvre tout, la ville
et l’esprit,
ce qui devient est à l’orée de l’instant,
prêt
à éclore, et les mouettes se retournent
en criant,
la police des mers, des bateaux qui appontent,
le ciel
est une large composition de sanglots étouffés
dans la brume.
1 Éditions du Limon
2 Editions Fata Morgana.