K.O.S.H.K.O.N.O.N.G, numéro 25 par Tristan Hordé
La page de couverture présente le début d’une lettre de Kathy Acker à Paul (et Glenda) Buck et il est nécessaire d’indiquer qui sont ces correspondants. Kathy Acker (1947-1997) féministe revendiquant sa bisexualité, a été une figure de l’underground new-yorkais avant d’être une auteure reconnue ; pour sa biographie et, surtout, pour des indications à propos de son œuvre (dont une petite partie est traduite en français à partir de 1988), on lira l’article très développé de Wikipédia. Sa lettre date sans doute de 1974, Kathy Acker évoquant son livre publié cette année-là, I dreamt I was a nymphomaniac imagining, abrégé en NYMPHO. Paul Buck, né en 1942 en Grande-Bretagne, écrivain, a été rédacteur en chef, dans les années 1970, du magazine littéraire Curtains, dont Kathy Acker demande des nouvelles (« où est CURTAINS ? »). Traducteur du français, il y a publié, par exemple, des textes de Georges Bataille, Bernard Noël, Danielle Collobert. Ces éléments, qui sont évidemment absents dans la lettre, permettent de comprendre la forme et le contenu du texte : échange entre des amis à qui on peut tout écrire, y compris ses relations tendues avec son éditeur, ou sa vie sexuelle, ou sa crainte d’être enceinte et la volonté d’avorter, etc., sans se préoccuper de la syntaxe ou de la ponctuation ; flot de mots qui ne commence à se contrôler qu’un fois dite la détestation du milieu artistique new-yorkais qu’elle a quitté : elle peut désormais retrouver une vie "normale" pour elle (« J’arrive à nouveau à lire de la poésie et j’aime ça ! »), s’enthousiasmer pour Hemingway (« Hemingway est un putain d’écrivain ») et reconnaître un lien entre la nature et l’écriture. Kathy Acker affirme clairement qu’elle a abandonné une manière de vivre (« Je n’ai plus l’âge d’être punk »), sa lettre indiquant qu’elle refuse ce qui a été pour elle un chaos ; elle prévoit par exemple de reprendre certains de ses textes et de les éditer elle-même. On souhaiterait lire d’autres lettres, celle-ci représentant un témoignage qui éclaire un moment de la vie littéraire aux États-Unis.
Marcel Broodthaers (1924-1976), écrivain belge, puis plasticien, il exposa ses livres de poèmes invendus noyés dans du plâtre. Il mania la dérision par le plagiat de classiques, ici dans un bestiaire avec les inusables personnages du corbeau et du renard, avec aussi le dessin d’une moule, un de ses sujets favoris — ce que l’on reconnaît dans une transcription de l’INA, « Moi je dis je, moi je dis je, le roi des moules. Moi, tu dis tu, je t'autologue, je conserve, je sociologue, je manifeste manifestement au niveau de mer des moules. J'ai perdu le temps perdu. Je dis je, le roi des moules, la parole des moules au niveau de mer des moules (...) ». La présentation de Claire Sécail dans ce document de l’INA définit bien l’activité de Marcel Broodthaers : « Influencé par le surréalisme, il réalise des œuvres avec des matériaux insolites (coquilles d'œufs, briques, moules...) assemblés sans respect de sens ou de valeur, simplement dans l'idée de bousculer avec humour les catégories habituelles qui donnent une rationalité aux choses et aux êtres. » (INA, 6 décembre 1992).
On lira, loin du surréalisme, un poème de Claude Royet-Journoud, "Histoire du reflet, premier indice", divisé en strophes et pièce d’un ensemble. On apprécie l’introduction de personnages qui demeurent énigmatiques, seulement présents sous la forme du pronom (ils, tu, nous, elles), sauf un : « la mère » — origine ? Le sommeil tient une place importante, transformant la réalité qui s’ouvre alors à tous vents, « te fait tanguer ». Pour le miroir, il ne restitue pas plus la réalité, « l’image s’éprend de son double » : qui regarde qui ? S’il est une réalité, peut-être est-elle seulement dans les mots, dans « le corps de la phrase » ; les mots n’ont pas de reflet mais passent d’une bouche à l’autre, repris, dans des énoncés toujours neufs.
Jacques Roubaud a traduit les quatrains (sauf les 13 et 16) d’un poème de Bertolt Brecht à propos de la victoire rapide de l’armée allemande en France, lors de la Seconde Guerre mondiale. Un poème de J. H. Pryne, traduit par Martin Richet, rappelle au lecteur que les éditions Éric Pesty ont publié quatre titres de l’écrivain anglais, dont La Terre de Saint-Martin par le même traducteur. Comme dans chaque livraison, la variété des voix caractérise cette revue magnifiquement imprimée.