Rehauts, n° 36 par Tristan Hordé
On ne parle pas beaucoup des revues, ici ou ailleurs, alors qu’elles accueillent les premiers textes d’écrivains, souvent aussi les premières traductions d’auteurs étrangers. Pour cette raison il faut les défendre ; et d’autant plus vigoureusement que beaucoup de bibliothèques se désabonnent, prétextant "la crise", comme si une dizaine d’abonnements à des revues de référence pouvaient grever un budget. Bien des revues disparaissent (Recueil en 2008, Siècle 21 en 2010, L’Arsenal en 2011, parmi d’autres), une bonne partie de celles qui résistent vit difficilement. Donc, oui, il faut défendre, c’est-à-dire lire les revues littéraires, de poésie, et demander à la bibliothèque que l’on fréquente de s’abonner*.
La revue Rehauts est née en 1998 et son sommaire reste passionnant, d’un numéro à l’autre, deux fois par an. Chaque livraison s’ouvre sur une traduction, cette fois d’un poète mexicain, José Carlos Beccera, encore peu connu en français (dans le n° 35 Maïtreyi et Nicolas Pesquès présentaient pour la première fois une poète américaine, Carol Snow). Ensuite, ce sont des poètes et des prosateurs plus ou moins familiers aux lecteurs : je retrouve Ludovic Degroote, Gilles Ortlieb, Hélène Sanguinetti, Sophie Loizeau, Jean-Pierre Chambon, et je les retrouve avec ce plaisir que l’on a d’être en terrain familier. Je connaissais les travaux de Joël Cornuault sur Élisée Reclus et ses traductions de Keneth Rexroth et John Burrougs, je découvre le poète ; je n’avais jamais lu Isabelle Zribi (personne n’est parfait) et les extraits d’un travail en cours, Arnaud le trou ou l’invention de la fiction, déjantés et pleins d’humour, me font noter le titre de son dernier roman. Restent encore à lire de courtes proses de Mathieu Nuss, comme celle-ci :
Rien de moins docile que le ventre vide d’une porte-fenêtre. Qu’un rideau qui bat tout contre. Les blancs que laissent les écailles de peinture dessinent une mâchoire de mastodonte..
Aussi un long poème de Jean-Pierre Chevais dont le personnage et le jeu des répétitions m’évoquent l’univers de Kafka ; les dessins et poèmes de Ricardo Mosner ; le travail sur des photographies de Tony Soulié. Sept poèmes enfin de Julien Bosc, qui précèdent les notes de lecture ; c’est par eux que j’ai commencé — on ne lit pas une revue en suivant le sommaire— à cause du nom, bosc (comme bos) désignant un bois, une forêt en limousin (j’ai failli commencer par Loizeau). Ce sont des poèmes qui, presque tous, sont construits comme des listes : le compte des petites choses de la vie, et la mélancolie quand on pense parfois à ce que l’on fait de ses jours.
à vingt jours du printemps
offrir un nouvel ait à la terre du jardin en
ratissant les feuilles mortes puis
allumer un feu de petits bois et vieux genêts
les y jeter et voir partir en fumée
penser qu’on pourrait se pendre
aller savoir pourquoi à ce moment-là
[...]
Me voilà moins ignorant : outre le plaisir de sa lecture, la revue me conduit ailleurs ; je lirai le dernier roman d’Isabelle Zribi, les recueils de Joël Cornuault et de Julien Bosc. C’est là à mes yeux la fonction principale et irremplaçable d’une revue : ouvrir l’horizon toujours un peu étroit du lecteur.
___________________________
*. Il y en a d’autres ! mais quelques titres de revues qu’une bibliothèque digne de ce nom devrait présenter à ses lecteurs : Europe, PO&SIE, Conférence, Théodore Balmoral, La Revue des belles lettres [Lausanne], L’étrangère [Bruxelles], il particolare, Nioques, Triages, Sarrazine, Fario, Place de la Sorbonne, Rehauts...— et parmi quelques nouvelles nées, Revue Métèque, Le Moulin des loups, La Moitié du fourbi.