Sous votre nom d'Esther Tellermann par Anne Malaprade
Sous votre nom désignerait un lieu ainsi qu’une personne, un état autant qu’une temporalité, une forme indéterminée et un « sol absolu » au sens où l’entendait Lorand Gaspar. Un trésor s’y cache, et il est fait de mots excavés, de fleurs éparses : « Votre nom aujourd’hui/prend la place des bouquets/pour vous je rassemble/les semences/roses/des morts et bruyères/des matins ». Sous le nom certains vocables couvent, certains mots, certains morts se découvrent. Sous votre nom, donc, comme un mode d’être par lequel le « je » se construit, et retrouve une gémellité enfouie ou cachée que la langue d’Esther Tellermann s’emploie à déterrer — à dénommer. « Je me lie à toi/comme sœurs/à la racine ». Sous votre nom mon nom, sous mon nom votre nom : ce chiasme est aussi une figure de pensée, une tension sororale, la marque peut-être du cheminement d’une parole qui gravit, monte, explore un paysage volcanique et oriental fait de jardins, de frontières, de « routes humides », de rocs et de cristal, de « grès rouge ». Un voyage dans le feu, un voyage de feu qui ouvre une « Fenêtre d’Est ». Or ce périple est conjointement la scène d’une histoire intérieure/antérieure qui se déroule par flashs, telle une fable et une fugue énigmatiques dans lesquelles les pierres, la terre et les éléments auraient trouvé le sens d’une parole chantée.
Le poème est une « procédure de vérité » ainsi que le rappelait l’écrivain dans un entretien paru dans Nu(e) : il dit en questionnant, décrit et interroge, épuise l’innocence comme l’évidence, et brûle de ceindre le murmure des choses et des disparus a priori muets. Ce poème « sait » d’un savoir qui ne coupe ni ne découpe même si la langue « incise » ; un savoir qui ne tranche jamais, et qui pourtant creuse, attaque, souligne certaines relations, certaines constances, des liens que l’expérience traverse et transpose. Un savoir donc qui n’impose pas. Un savoir qui fait jaillir, plutôt, quelques images, et des énoncés ne visant pas la « pleine clarté », même si lumière il y a dans les trois sections du livre : éclat solaire le plus souvent somptueux, « Soleil éclate/les surfaces et se/déchirent les fins/sur le bord/ des cratères ». Le vers, donc, fabrique des fragments et des fictions qui superposent en les articulant une série d’« hypothèses ». Il fait sourdre une lave verbale, et attend des paysages réveillant autant de souvenirs qu’ils lui donnent l’audace de poursuivre un mouvement : celui de la respiration même, qui accompagne un corps en marche, un corps en action, un corps en invention. Ce dernier avance et fouille, prélève et observe les progressions du sens dans l’audition d’un nom propre. « Louise » : est-ce à dire le prénom sous lequel vibre la durée de l’enfance et de l’adolescence, le temps d’une origine vers laquelle chaque poème remonte ? La sœur paraît ici l’ombre du double : elle est tout autant l’objet de la quête que le sujet d’un amour vocatif qui vivifie et nourrit la mémoire du poète. Sous votre nom coexistent ainsi l’asile et l’abri, la voix et son revers, ce qui se dérobe et ce qui surgit, l’appel et sa retombée, le lit et le tombeau : le suspens d’un sens en lequel se grave tout nom. Ce que d’autres recueils d’Esther Tellermann baptisaient déjà Première apparition ou encore Terre exacte.