Récupération du sommeil de David Lespiau par Anne Malaprade
Le sommeil et la récupération recouvrent des expériences variées, faites de tout et de rien, de conscient et d’inconscient, de gestes et de rejets, d’inactivités et de menus travaux. « Récupérer le sommeil », est-ce à dire le rappeler, le reconquérir, l’investir autrement que par l’abandon de soi ? Ou bien faut-il entendre dans cette expression tout ce que l’on peut retrouver et peut-être maîtriser par un sommeil qui dans ce cas n’aurait justement pas disparu ?
On peut, effectivement, « récupérer le sommeil » — et le recycler — en travaillant : à savoir lire, écrire, réfléchir et s’inquiéter, tourner en rond, ranger, classer, nettoyer, faire de la place, anticiper des rencontres et des rendez-vous, préparer une valise, rédiger des listes, inventer des micro-histoires, imaginer des drames, compter moutons et autres animaux — autant d’activités nocturnes (« des éléments de précision » sans doute) dont ce livre témoigne. Et l’on peut, parallèlement, « récupérer » grâce au sommeil toute une gamme d’activités apparemment oisives que la veille diurne nous interdit en partie : rêver, imaginer, fantasmer, attendre, chanter et déchanter, sublimer, désidéaliser, cristalliser et décristalliser autour de ce qui est appelé ici un « vide pluriel ». Ces deux mouvements complémentaires, ou « mouvements de passe », sont conjointement présents dans le livre, fait d’âme et de mains, d’esprit et de corps, d’évanescence et de chair, comme si le non au oui s’intégrait. Le sommeil constitue d’ailleurs cette activité hybride qui réconcilie, ou en tout cas couple, le corps et son autre. Avec le sommeil c’est parce que le corps s’abandonne et suspend toute activité visible ou évidente que l’épanchement du songe dans une vie réelle devient enfin possible. Alors même qu’un corps se ferme et décélère, s’ouvrent et se déploient un imaginaire et un monde. On comprend qu’un tel basculement, qu’une telle traversée, qu’un tel voyage intérieur aient ému, intrigué, fasciné les écrivains, insomniaques, somnolents, hypersomniaques ou somnambules. Le sommeil donne l’occasion de parler et d’écrire autrement ; il offre le temps d’un autre temps. Lorsqu’il tombe ou vient, une langue se lève, ou se relève. C’est ce miracle quotidien, prosaïque et horizontal, que David Lespiau décrit dans des poèmes « instruments de pensée » qui disent les lignes et points de fuite que le sommeil, entendu ici comme prise apaisée sur l’extérieur et l’intime, découpe et monte.