Valère Novarina, Le jeu des ombres par Christian Désagulier

Les Parutions

29 nov.
2020

Valère Novarina, Le jeu des ombres par Christian Désagulier

  • Partager sur Facebook
Valère Novarina, Le jeu des ombres

Lorsqu’on donne un jeu de cartes à jouer sur l’Orfeo de Claudio Monteverdi à Valère Novarina, la Dame de pique se nomme Eurydice :
                              La parole existe-t-elle avant la pensée ?
et le Valet de carreau, Orphée :
                            Peut-être. La musique, très certainement.
La pensée est femme noire et la musique rouge dès l’origine..

Et cent personnages nouveaux ou accourus à la rescousse pour interpréter ce Jeu des ombres, pour prédire le passé dans les nuages de cendre, ou se souvenir de l’avenir qui revient au même..

Les personnages cyclopéens de Valère Novarina nous laissent dans l’ignorance de ce qui est en jeu dont ils portent le nom, au nom duquel inavouable ils parlent comme ils respirent. Ce renversement pour demeurer inaudible demande un théâtre de paroles. Des mots les ombres ainsi portées à notre écoute doublent la langue et conservent les uns envers les autres leur statut de soupçons..

Il n’est pas innocent qu’il faille se servir d’une lyre pour émouvoir les êtres humains et les animaux, pour faire bouger les arbres et les pierres dès qu’on leur tourne le dos, que la langue rentre dans sa coquille, l’ombre en nombre s’inverse et que l’huit tende vers l’infini. Et qu’il faille pour cela jouer de la musique des mots, c’est-à-dire des mots délivrés des mots. Il en va de la musique pour qu’elle soit du poème la révélation..

Des bouches qui sont des conques desquelles sourd le vent des listes, des oreilles d’huîtres dont les ourlets se rétractent à l’annoncé des conditions de survie : des dialogues de sourds, du bruit de forme plutôt que du sens..

Ainsi s’énoncent présocratiquement le tout et son contraire, s’opposent à toute réplique à travers la porte close au bord de la scène et que d’imprononçables échos retardent la tombée du jour avant que la lumière nuit..

Le silence intriguant qui maintenant règne dans l’antichambre, nous soumet à l’irrésistible tentation de parler tandis que Bonhomme Nihil nous observe en caressant Cerbère : on ne se baigne qu’une fois dans le fleuve des sons. Le mot est tout ce qui arrive sur l’autre rive..

Ce Jeu des ombres où Orphée et Eurydice ne feraient plus qu’un, plus qu’une bouchée l’auteur et le comédien, ventriloque unique et masqué, les personnages des chauves-souris éblouies dans le noir, tel est ce théâtre où les bêtes croquent les anges et les anges portent des loups.

Garder un secret c’est garder le secret du secret pendant l’interrogatoire. On ne peut révéler que ce que l’on poème pour toute la lire..

 

Retour à la liste des Parutions de sitaudis