Arthur Rimbaud, biographie de Jean-Jacques Lefrère (réédition) par Christian Désagulier

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22 oct.
2020

Arthur Rimbaud, biographie de Jean-Jacques Lefrère (réédition) par Christian Désagulier

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Arthur Rimbaud, biographie de Jean-Jacques Lefrère (réédition)

Dé-lire

 

Il y a autant de Jean, Nicolas, Arthur et même ‘Joseph’ comme le prénom qu’il indiqua lors du renouvellement de sa carte de lecteur à la bibliothèque du British Museum le 4 avril 1874, qu’il y a de lecteurs de Rimbaud (p. 556)..

Et ce n’est pas le moindre des mérites de Frédéric Martel, le préfacier de cette réédition de la biographie indépassable de Jean-Jacques Lefrère, que de passer les lectures de Rimbaud en revue : Stéphane Mallarmé, Paul Claudel, Jacques Rivière, André Gide, Jean Cocteau, Louis Aragon, André Breton 1ère époque, René Char, Etiemble, Henry Miller, Jack Kerouac, Yves Bonnefoy, Alain Borer (que Frédéric Martel ne tient pas en haute estime..), Patty Smith, Bob Dylan et Joan Baez, Pierre Michon, mais pas Dominique Noguez sans doute parce que ce dernier n’en compte que trois1..

Un ensemble de lectures caractérisées, catholiques, classiques, surréalistes, politiques, féministes, libertaires, nationalistes auquel de nouvelles catégories contemporaines viennent s’ajouter comme les lectures « green » et « gender » des LGBTQIA+ où les G (les gays) se reconnaissent comme dans un miroir posé en face d’un miroir : ange, bottom, charité, cœur, coq, cottage, faim, fairy et féérie, festin, folle, gai et gaité, grief, mauvaiseté, orgie, pissotière, rumeur, soupe, vice et tutti quanti, seraient des mots à connotations homosexuelles indiscutables, passant au titre des pertes et profits que chacun d’eux est susceptible de signifier la chose et son contraire, que toutes formes de cryptages métaphoriques participent d’une polysémie paradoxale, que les mots possèdent autant de significations qu’il y a de lecteur-e-s sauf à les définir dans le poème se faisant, obligatoire astreinte, écopant, colmatant à mesure toutes les fuites de sens, comme ce lisant..

Il semble que personne ne se soit posé la question à partir des faits, rien que les faits dont l’absence est également significative, qu’Arthur Rimbaud ait pu tomber sous l’emprise intello-sexuelle de son professeur de rhétorique conscient de tenir dans ses bras un génie, que Rimbaud se soit plié aux exigeantes étreintes de Georges Izambard, faisant de mémoire traumatique à l’institution Rossat investissement d’avenir dans les Lettres, devenant opportunément G à l’adolescence pour un mentor dur d’oreille mais pourvoyeur de livres interdits à la maison (les romans de Victor Hugo, ceux des poètes du Parnasse parisianiste..).

Premier lecteur critique d’un poète en fleurs, à l’exclusion de celles des lys, n’est-t-il pas compatible qu’Izambard, orphelin de mère élevé par les sœurs Gindre, puisse à la fois courir les filles des bals (p. 85) et succomber aux attraits d’un très-doué adolescent de 16 ans, « Quelques-uns se souvenaient de l’avoir rencontré avant la guerre, bel éphèbe aux yeux d’un bleu cruel, à la bouche de piment, avec cette caractéristique de mains énormes, des mains pour étreindre des nuées… » (p. 1227), qui aurait été préparé par de premiers viols à l’institution Rossat fréquentée à partir de 1861, « L’âme de son enfant livrée aux répugnances… A sept ans… - seul, et couché sur des pièces de toile / Écrue, et pressentant violemment la voile ! » ?

Et le poète provoquant, la mise, le comportement, la rhétorique déconstruite à la Grammaire Nationale, le poète voyant aux sens déréglés, le produit d’une sublimation pour se supporter, aurait-il été H comme Hétéro (ou comme Hortense..), G ou B inné ou mal acquis, expliquant cette passion du latin dès l’école Rossat de laquelle sa mère le retira au cours de l’année 1865 pour l’inscrire au collège municipal de Charleville, lequel placé « sous le contrôle officieux de l’archevêque de Reims » car fréquenté par les séminaristes, on ne comprend toujours pas très bien pourquoi ce changement d’établissement pendant l’année, ce passage aurait-il été celui des mains de Charybde à celles de Scylla ? (p. 38)..

Et puis ce fut Paul Verlaine, la rencontre au fer marquant, manquée prémonitoire à la Gare de l’Est, l’un par l’autre déjà inimaginable sur le quai d’une gare de laquelle les trains ne font que partir ? Et ce qui s’ensuivit de Londres à Bruxelles s’achevant à coups de pistolet2 résonnant jusqu’à Stuttgart en 1874, mais pas la confiance littéraire : Rimbaud ne lui a-t-il pas confié le manuscrit des Illuminations3 ?

Cette vie de couple explosif-fatal à laquelle il se serait résolu – la sincérité de ses lettres, de toutes ses lettres jusqu’à celles d’Afrique aux « chers amis », doit être prise avec des pinces-monseigneur, celles d’un poète ès langues A, E, I, O, U.. –, pour être le commensal des Vilains-Bonshommes. Bardé de prix scolaires et convaincu de son génie poétique, d’une maturité plus que livresque précoce, n’avait-il pas de quoi fonder des projets de gloire parisiens et réalisant qu’il fut bête de foire à la seule gloire de l’école, n’aurait-il pas exploité à son profit son aura, quitte à porter des chaussures aux semelles anti-retour et lacets élastiques pour s’extraire de Roche ?.

Alors quand il eût compris que ces sacrifices d’études brutalement interrompues, la Commune et la Guerre, l’obligeraient à courir après des petits boulots, à se prostituer un peu, quand il eût aspiré à se poser bourgeoisement, rêvant de fonder une famille, d’avoir « un fils ingénieur renommé », car trop âgé alors en 1875 pour être candidat à Polytechnique (p. 615), il ne lui restait plus qu’à rompre avec le poème auquel le pliage à un mode de vie dénaturant lui eût paru consubstantiel. Plus qu’à partir, revenir, repartir un cran plus loin, re-revenir, re-repartir de plus en plus loin pour une dernière fois revenir d’Afrique, fortune d’ivoires, de cuirs, de café ou de fusils à capsules Remington faite4, recollé tout entier au lieu que les membres réduits d’un quart ?.

Le point fort de la biographie de Jean-Jacques Lefrère n’est pas ce qu’elle nous apprend, on ne peut pas faire plus, mais ce qu’elle ne nous apprend pas et laisse l’imagination lire dans les nuages pour remplir le ciel entre, y reconnaître des portraits photographiques ou des clichés pris par lui en Pays Galla5 : « il y a tout ce que nous savons et il y a tout ce que nous ne savons pas et qui est immense » dixit Rouletabille6..

 

  1. Dominique Noguez, Les trois Rimbaud, éditions de Minuit, 1986.
  2. Le compte rendu d’examen médical du tireur pratiqué le 16 juillet 1873 quelques jours après son incarcération à Bruxelles n’est pas avare de détails (p.522 : « 1°) Le pénis est court et peu volumineux – la gland est surtout petit et va s’amincissant – s’effilant vers son extrémité libre, à partir de la couronne... 2°) L’anus se laisse dilater assez fortement, par un écartement modéré des fesses, en une profondeur d’environ un pouce…» (p. 522) selon l’expertise médicale que reproduit Jean-Jacques Lefrère, lui-même médecin, professeur en hématologie et virologie, praticien spécialiste des virus émergents, une spécialité qui résonne étrangement par les temps de pandémie qui courent, le biographe ajoutant : « Mais non, rien d’hallucinant ou de risible dans ce rapport, la médecine est une discipline sérieuse. » Ceci explique-t-il cela ?
  3. Emmanuel Martineau en se basant sur le fait que le manuscrit des Illuminations est un recopiage des mains d’Arthur Rimbaud comme de Germain Nouveau, et sur la présence récurrente de mots de liaison aux seins et aux extrémités de chacun des supposés fragments, a proposé une éblouissante reconstitution sans solutions de continuité, une Enluminure d’un seul tenant comme la Saison, au lieu que ces indépassables bouts à bouts aux titres aide-mémoire que nous leur connaissons. Un poème unique et d’une telle superfection, à convaincre le poète de passer aux choses sérieuses - cf. Revue CONFÉRENCE N°1, 1995
  4. Trafiquant de fusils c’est-à-dire d’armes, pas une métaphore au sens de « tu en as toi aussi » qui écrit des poèmes, qui opère ce travail différentiel sur la langue, ce « toi aussi » entretenant une croyance qui occulte les causes au motif du poème, laisse agir les acides effets.. Les mots ne sont pas des armes fussent-elles munies de silencieux, des fusils réformés enfouis dans le sable, mais des armures, auraient-elles de sublimes défauts, de ces altérations à la clé avec quoi les musiciens composent jusqu’à noircir à l’encre les demi-tons des touches du clavier, serait-il un assourdissant simulacre creusé au couteau sur le bord d’une table, élaborent de ces parades sauvages qui nous délivrent des mots,..
  1. Arthur Rimbaud photographe, Hughes Fontaine, éditions Textuel, 2020.

  2. 1 Le Scarbro c’est-à-dire le Scarborough de Promontoire pourrait-il être celui de cette plage du Cap de Bonne Espérance embrumée d’embruns au sable blanc mixés qui m’abrasaient inimaginablement le visage quand je l’arpentait un jour d’avril 2013 , en direction de laquelle Rimbaud aurait nagé, abandonnant le Wandering Chief à la tempête ce 30 septembre 1876 (p. 638) puis serait remonter à bord du voilier, passé le risque de sombrer après que le mât d’artimon eut été scié, matelot déserteur javanais de retour à Roche, une avant-dernière fois ?.
    6.2 Et puis aussi quand Jean-Jacques Lefrère nous le fait retrouver au Caire en 1887 et signale que durant sept semaines on ne sait rien (p. 851), n’aurait-il pas eu le temps d’une sorte de pèlerinage après qu’il eut rédigé l’article Voyage en Abyssinie et au Harar pour le Bosphore Égyptien, celui de se rendre à Sebdou (Algérie) par la mer, où le capitaine Frédéric Rimbaud était en garnison entre 1847-1850 (p. 5), qui entre deux missions s’occupait à rédiger des articles pour La revue d’Orient, ainsi qu’à apprendre l’arabe et traduire le Coran, rédigeant des ouvrages qu’Arthur réclamait déjà à sa mère de les lui adresser à Harar en 1881 (p. 692) ?.
    6.3 N’ai-je pas croisé un jour d’avril 2011 à Harar,  comme je descendais la rue Makina Girgir, (la rue des machines Singer, c’est-à-dire des couturiers), n’ai-je pas croisé le regard d’une vieille dame aux yeux myosotis, au teint et aux traits d’Ardennaise aux grandes mains, lesquels signes distinctifs auraient pu être ceux d’une descendante d’un enfant de Rimbaud, pourquoi Mariam aurait-elle été la seule femme à partager quelques temps sa vie et d’autres subrepticement on sait et Djami simplement son serviteur et ami jusqu’à ses derniers jours ? – cf. R sur et de in Leçon d’algèbre dans la bergerie, éditions Terracol, 2019.
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