Name, Francis Cohen par Christian Désagulier
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Notes de délecture
« je t’ai pourtant dit
de ne pas revenir quand
on est mort, on est
mort près des langues entendues
entre rien et rien dire »
(Cinq visages, Visage IV, p. 29)
Dans « Name », que le titre du livre de Francis Cohen se prononce germaniquement « N'a me » [nam? ?] ou « N'ai yeux me" à l'anglaise, signifie « nom » s’entend « non » [n? ?] en langue française, en allemand comme en yiddish mais sans majuscule à « name » :
« - Quel est ton Name ?
« - Name n’est pas mon nom, non, mon nom est name. »
Quel est le nom de ce visage aperçu dans le feuillage de marbre, poli miroir aphone, dans une plaine de registres, dans un registre plein de registres qui ne sont pas ceux d'orgues basaltiques, dans une forêt de stèles polysémiques où je veux distinguer un visage qui me ressemble, homonyme,
« pierres de noms qui rompent
le regard est la chose
cohen ici figure des lettres
le nom dit l’écho
des autres qui traversent encore
les murs jusqu’au ciel
… »
(Quoi si rien ne reste, p. 97)
Parce que l'enfant dont le nom est Name doit crever l’œil d'un polysème à la pointe d'un style pour se trouver en palpant, effeuiller des registres à la folie, se retrouver dans une forêt de traverses avec des petits cailloux qui furent de ballast rose.
« un chiffon essuie le verre
de ma judéité… … »
(Quoi si rien ne reste, p. 102)
Janus qui ne peut voir qu'à demi les traits de son visage dans la glace, lui tourne soit le ventre soit le dos et Narcisse dans un fleuve de mercure à l'impossible noyade, ne saurait-il pas nager, on ne peut pas lutter contre la loi de la physique à moins que boire tasse sur tasse et qui leste.
Le nom d’un fantôme muet dont on ne saurait dire si la cécité, les rétines décollées sont celles du regardeur ou bien du regardé, pris dans un concassé de magma refroidi, le nom buriné en langue étrangère.
L'idiot du regard c'est l'idiot que le temps lapide, c'est à dire pétrifie, au marbre noir lettré, ce sont les porteuses et porteurs d’une langue qui ne prend pas de majuscule.
A ce moment-là, sous la pulpe des doigts, et la référence à Dante sur l'épaule de qui Francis Cohen pose l'autre main prend tout son sens. A ce moment-là nous sommes morts à l'exception des quelques instants que prend la lecture d'un poème apoétique - et tout le reste, est poésie.. - comme Francis Cohen le revit, voudrait nous en faire partager le revivre et le revoir, le revenir.
Dante que Virgile a accompagné un bout de chemin à l’aller infernal connaît maintenant celui du retour, le lui souffle à l’oreille, faudrait-il crocheter la porte de l’espérance de l’intérieure dont les clés ont formes des lettres de Name.
« certes la phrase
offense le nom
héritant
encore du père
nocturne »
(Devant ces lettres, p. 54)
Ou bien, ce qui revient au même, nous revenons à la mort à ce moment là, par anticipation comme à l'écoute d'un morceau de musique d'orgue au registre de haut-bois d'amour, dont le bois n'est pas d'amourette, mais le tuyaux d'étain et de verre, comme celui d'un miroir biseauté, au cœur troué, étoilé..
Comment retrouver son Name dans la liste des cris en tournant les pages tapées en noir à la machine aux caractères à serifs perforants, baveux, regroupés en prénoms avec
« mon index sur le nom »
(Dans cette langue, p. 142)
Il y a une nouvelle de Villiers de l'Isle Adam au titre paradoxal et programmatique de Claire Lenoir, où le protagoniste principal dont le nom aux résonances transparentes de Tribulat Bonhomet parvient à voir dans les yeux de Claire Lenoir ce que la veuve vit à l’instant fatal : « ...j'aperçus un tableau que toute langue, morte ou vivante (je n'hésite pas un seul instant à le dire), est, sous le soleil et la lune, hors d'état d'exprimer. — Oh ! comment décrire cela ! Quelle imagination comblera l'inanité dérisoire des mots que je vais tracer ! »
« Souviens-toi de qui s’est inscrit dans ton œil »
(Quoi si rien ne reste, p. 101)
« Je veux être lu comme
un visage sans nom »
(Portraits, p. 85)