François Villon, Œuvres complètes par Christian Désagulier

Les Parutions

10 nov.
2020

François Villon, Œuvres complètes par Christian Désagulier

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François Villon, Œuvres complètes

Le mystère François Villon n’est pas de savoir ce que le poète est devenu après son bannissement de Paris, de sa ville et dure mère, depuis la sortie de son signal des écrans radar de l’Histoire dont la rédaction anticipée du Lais et du Testament atteste la prémonition, et qu’il erre dans les interstices de la nuit..

Ce qu’orphelin de mère aux pavillons d’oreilles coupés, dès les langes à la langue arrachée et greffée celle d’un père adoptif généreux, ni comment poète dans notre langue balafrée il est revenu..

Item, l’insolvable l’énigme de celui qu’il continue d’être à cinq siècles de distance, de savoir comment les rayons durs de ses poèmes parviennent encore à nous traverser en laissant des traces de centre, les traces de ses départs successifs jusqu’à l’ultime, leurs phrases à la fois ondulatoires et particulaires, à l’irradiation de lumière noire comme on rit, consolatrice font tristes et gais nœuds et ventres, participent de l’irrésolution durable de cette énigme..

Pourquoi ses vers nourris aux lieux communs continuent de nous fasciner, de nous suspendre à leur résolution revêche comme au bout d’une corde vibrante, les percussions régulières des coups de becs de ses rimes aux tympans oculaires, nous lègue de la sorte une langue crissante dont le parler strangule, continuent de nous balader par la méthode du jardinier au long de leurs franges d’interférences hyperboliques..

Une réédition du poème de François Villon, aurait-il été épaissi par deux juxtalinéairement pour le lire sans encombre, imprimé sur la belle page pour dédouaner la gauche traduction revendiquée à gauche, c’est-à-dire sans imagination traductrice, il n’en a que faire, par trois sans forcer de notes et notices comme cette édition de poche réalisée par Jacqueline Cerquiglini-Toulet, fût-elle augmentée d’une pléiade de lectures critiques jusqu’à dépasser mille pages d’épaisseur biblique, demeurera toujours lacunaire consubstantiellement, de toutes ses promesses interprétatives : autant de lecteurs autant de poèmes au sens large, de lecteurs participant à leur élargissement..

C’est dès lors abus de langage que de laisser lire ces poèmes comme s’ils nécessitaient d’être traduits et faute qui plus est de laisser par implicite croire que la langue de François Villon, que cette langue françoise nous serait devenue étrangère à ce point qu’elle obligerait à ce traitement de choc le moins inventif possible, toutes ambiguïtés interprétées dans la direction d’un amortissement auquel l’original fait écran de plomb, quand il suffirait d’une étoile au firmament du mot et l’ombre ainsi portée de son signifié réverbéré en marge, celui que la traversée de l’espace littéraire aurait retardé, ou faisant fi de cette constellation de mots variant dans la nuit  surnoire de ces temps, à la traduction en due forme suppléer par l’imagination..

Item, aucunes découvertes dans les archives, aucuns nouveaux crimes ou délits à inscrire au casier judiciaire du poète qui lui tient lieu de biographie, ni nouveaux poèmes testamentaires en clair ou codifiés en jargon à porter à son crédit, autographes comme les trois qu’il a composés en résidence à l’issue d’un atelier d’écriture et manuscrits à la plume coupée dans l’anthologie de Charles d’Orléans, dont la lisibilité à l’encre de galle sur vélin, la chaleur persistante de la peau tatouée du fœtus mort-né près d’un demi-millénaire plus tard donne la chair de poule..

Nulles inventions hormis celles recueillies par Clément Marot qui relanceraient quelques nouvelles interprétations de l’homme à l’œuvre, comme celle d’avoir trouvez H enfin à Angiers1, aucune rencontre fortuite d’une descendante héritière de son alter ego métempsychosé à Harar, ni empreintes de pieds pour nous mettre sur la piste de sa ballade au bout de la nuit..

Des traces d’ADN de François Villon comme de pollen de lys dispersé à son vent, on en trouve partout depuis Du Bellay à Baudelaire et Rimbaud, de Tristan Tzara et Henri Michaux à Valère Novarina2 assorties d’une fortune critique considérable, la seule dont puissent se prévaloir post mortem les écrivains de poèmes..

Une lecture sans cesse à reprendre pour l’ultime contradiction que François Villon nous apporte, donne à lire dans son legs à la cohoirie, cette contre-diction à quoi tout poème est voué, songeant qu’il s’adressera bientôt à ses « Frères humains qui avant nous viviez… »

 

1 Voir Lais VI-43, Angiers et non pas Angers, suivant ici une leçon antérieure à celle choisie pour cette édition ; Rimbaud et la poétique de l’énigme in L’imaginaire du secret, Pierre Brunel, UGA éditions, 1998 (disponible en ligne).
2 Tristan Tzara démontre que les vers du Testament sont truffés d’anagrammes récurrentes lesquelles apporteraient quelques précisions décisives à la biographie du poète. Une hypothèse démontée en recourant à un programme informatique lequel met en évidence que l’on peut identifier quasiment l‘anagramme de n’importe quel mot dans n’importe quel vers suivant la méthode de Tristan Tzara avec un taux de corrélation proche de 1, ce qui bien que cum hoc ergo propter hoc n’oblitère pas nombre des intuitions du chevauchant poète-lecteur (cf. Tristan Tzara, Œuvres complètes tome VI, Flammarion, 1991) ; Le Secret de Villon à l'épreuve de l'ordinateur. Tzara et les anagrammes, Michel Bernard, 1992 (disponible en ligne).

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