Réponse publique à Benoît Casas, à propos des StennoS par Joseph Mouton
Benoît Casas ayant adressé la critique suivante à l’auteur des StennoS :
Je trouve la rubrique de Mouton assez lamentable (et je ne dis même pas cela en éditeur fâché qu'un de ses auteurs ait été « égratigné », c'est vraiment un sentiment plus général de lecteur). Le chapeau est assez méprisant (« rebuts »), il se veut sans doute drôle, moi je vois surtout que Mouton (que par d'ailleurs j'avais trouvé plutôt sympathique quand je l'avais rencontré) se met dans une position de surplomb, à la fois prétentieuse (puisqu'il distribue les mauvais points) et déloyale (puisqu'en plus il intervient sur les poèmes !). L'exercice relève vraiment pour moi du ratage dommageable (encore plus pour son auteur que pour ceux qu'il vise).
Celui-ci lui a répondu et nous publions les deux textes avec l’accord de leurs auteurs
Monsieur,
Je comprends votre sentiment : assurément ma façon de faire a-t-elle quelque chose de désagréable et d’insolite ou insolent, et je doute qu’aucun de mes arguments puisse l’excuser à vos yeux. Je voudrais donc plutôt vous fournir trois ou quatre explications (de texte) qui vous fassent sentir, s’il se peut, la logique de ma mauvaiseté. Premièrement, il me semble à moi que le mot de « rebuts » choisi par Pierre ne porte qu’une très faible charge de mépris ou d’humour ; il s’agit juste de rendre en français l’idée que mes StennoS traiteront des livres dont Sitaudis ne rend pas compte. Deuxièmement, mon dessein n’est pas dans tous les cas d’« égratigner » les livres, encore moins de « distribuer des mauvais points » (pour autant que dans votre esprit cette expression désigne autre chose que l’acte critique lui-même). Par exemple, j’ai trouvé le livre de Batalla tout à fait intéressant, et ni les prélèvements que j’ai choisis ni les titres que je leur ai donnés n’indiquent le contraire. Troisièmement, avec cette rubrique « lamentable », mon ambition est de faire de la critique sans commentaire, c’est-à-dire une espèce de critique qui se contente de miniaturiser et de dramatiser obliquement le rapport que tout lecteur entretient avec le texte, à savoir un rapport de lecture. Possible que tel admirateur de Jean-Claude Schneider ou Werner Lambersy s’étonne de trouver son champion curieusement « épinglé » dans ma rubrique mais qu’à l’occasion il goûte à nouveau le charme puissant de l’un ou le génie singulier de l’autre. Autrement dit, le jugement est indécrottable, — what else ? Pour finir, loin d’être « déloyaux », mes remaniements ont presque toujours des raisons techniques : comme je respecte les règles de versification constitutives du StennoS, je suis parfois contraint de refaire une expression ou de déplacer quelques mots afin de perdre ou de gagner une syllabe, — mais je m’arrange pour conserver au minimum le ton local dans mes corrections, voire pour améliorer le texte original (autant que possible). Dans le cas du StennoS UNIVERS PHRASES, issu du livre de Batalla, j’ai abrégé légèrement la fin de façon que tout le poème original tienne dans les cent soixante-huit (≥) syllabes du StennoS ; son équilibre interne s’en trouve préservé. En imaginant le format ou le genre du StennoS, je pensais rejoindre un plan de langue qui soit infra-littéral, c’est-à-dire à la fois plus près de la chaîne signifiante (grâce à la domination de la syllabe sur la construction phrastique) et plus fluide, plus nu (débarrassé des ornements de la ponctuation souvent), plus brut aussi (parce que cassé). Pour moi, l’infra-littéral s’avère plus littéral que la simple reproduction à l’identique d’un texte (ready-made littéraire). Il ouvre à une variété de français (en l’occurrence) infiniment possibilisé, à un plan d’attraction étrange qui s’étend sous la surface du texte (de la textualité) et où l’on rencontre toutes sortes de schèmes (syntaxiques, stylistiques, expressifs, rhétoriques, rythmiques, etc.) en voie de constitution ou de décomposition, parce que pris au moment où leur fonctionnement cesse d’être effectif. Selon mon idée, ce plan fuit vers l’horizon du hors-langue, c’est-à-dire que si par impossible, on se trouvait « à l’horizon », on verrait absolument toute la langue infinie, absolument dépourvue de sens, un organisme monstrueux ou merveilleux selon. En travaillant moi-même à avérer ce plan, nul doute que je « m’éloigne » des textes que je retraite : c’est l’effet de surplomb que vous avez noté ; — et il est vrai que mon travail ne respecte pas les ouvrages et les auteurs comme on doit les respecter selon les lois ordinaires de la République des Lettres.
Monsieur, je vous salue respectueusement, peiné bien sûr que vous assimiliez mon entreprise à « un ratage dommageable », mais n’en démordant pas,