Andrea Genovese, Idylles de Toulouse, 2015-2019 par Philippe Di Meo
Présenter Andrea Genovese, tombe certes sous le sens, mais par quel bout commencer ? Car l’homme et l’œuvre répandus en mille flux versicolores ne souffrent pas de commodes étiquettes passe-partout. Comme ses talents, l’homme est multiple et démultiplié en plusieurs genres et au-delà comme le souligne à juste titre François Pic, son préfacier.
Installé en France depuis 1981, l’écrivain, poète, critique littéraire, critique d’art et journaliste né à Messine en 1937 n’en est pas moins actif et productif.
L’œuvre ? Elle foisonne en romans, poésie, pièces de théâtre et proses diversement inclassables, pour aller vite, et, chose plutôt rare, déployée dans les deux langues de sa vie : l’italien et le français et sans hiérarchie aucune. Mais, sous-jacents, le latin et le sicilien affleurent également de loin en loin.
Au sein d’une vaste production, faute de pouvoir tout évoquer dans l’espace imparti, signalons un journal attachant en trois tomes de près de mille pages prenant pour thème ses années d’enfance et de formation à Messine, la ville que les Grecs avaient appelé « La Faux » en raison de la forme de son port naturel, ville particulièrement meurtrie par l’extraordinaire tremblement de terre de 1908 et ravagée par les bombardements de la seconde guerre mondiale. Cet ensemble est aussi la description sans concession de la misère et des trames de l’Italie de la guerre et du second après-guerre rendue dans un langage travaillé et on ne peut plus expressif ne serait-ce que de par ses emprunts au dialecte sicilien le plus strictement idiomatique. On aimerait qu’un éditeur français se penche sur cet aspect d’un vaste corpus composite inédit en français. Entre-temps, se reporter au roman intitulé : Dans l’utérus du volcan, paru chez Maurice Nadeau en 2018.
Mais cette liste approximative des attestations imprimées de notre dynamique polygraphe serait incomplète si on ne mentionnait pas son brûlot en ligne intitulé Belvedere, qui en est tout de même à son 71e numéro. Il existe d’ailleurs un lien entre ces deux faces du polygraphe : son sentiment de révolte vis-à-vis du désordre du monde et de la bien-pensance et une égale liberté de ton. Á le lire, nous nous remémorons l’extraordinaire foisonnante liberté de ce genre de presse au tournant des 19e et 20e siècles.
Plus récemment, sans jamais tomber dans la carte postale, l’illustration, Andrea Genovese en vient à explorer l’Occitanie pas à pas à travers ses traditions et ses légendes dans une série d’Idylles prenant pour nom quelques-unes de ses villes les plus chères à son cœur : Sète et Toulouse.
Comme Idylles à Sète, Idylles à Toulouse inclut essentiellement des poèmes mais également de-ci de-là des encarts de proses. Dans plusieurs d’entre elles, Andrea Genovese raconte, par exemple, comment il s’est lancé à la recherche des traces du passage de Guido Calvalcanti dans la ville rose et de la dame là rencontrée : la mythique « Mandetta di Tolosa ». « Mandetta » ou « Amandette » ? s’interroge le poète sans pouvoir trancher, au terme d’un périple à travers les bibliothèques et archives de Provence et d’Aquitaine.
Cette recherche n’épuise pas l’intérêt d’un recueil à la langue particulièrement sensuelle, dans l’acception large du terme. Nous trouvons ainsi toute une section de haïkus particulièrement fluides, d’une musicalité, d’un rythme et d’une justesse d’expression qui retiennent. Qu’on en juge :
Le clocher pointe
son doigt menaçant
pèlerin incroyant
ou encore :
Brille la dalle
humide et glissante
la faille est cuisante
et :
Sur la branche
un battement d’ailes
l’amour s’emmêle.
C'est que le poète n’entend ni ne peut renoncer à aucun de ses lui-mêmes. C’est que la mobilité psychique et stylistique d’Andrea Genovese le déporte un peu partout. Ce partout cosmique qu’ébloui il arpente sans complexe ni limites clairement définies. N’entend-il pas se présenter successivement sous toutes ses facettes ? Aussi n’exclut-il pas à l’occasion une grivoiserie de bon aloi :
avec comme crayon
le gland d’un sommet enneigé
et comme encre la cendre
de l’arbre frappé par la foudre
par toi soudoyée
tout en chantant le
blé de[s] cuisses dorées.
Mais les images originales soutenues par une culture classique solide ne sont pas en reste. Car ce type d’excursus vient faire contraste avec des élans lyriques d’une tout autre tonalité :
Tu es une épine
qui s’enfonce et me déchire
une étrange tendresse
qui me crucifie
Ce qui n’empêche pas non plus Andrea Genovese d’évoluer alors avec bonheur dans une tradition qu’il renouvelle et interprète à travers ce qu’il désigne comme une « odyssée minime / dans l’enceinte crénelée d’une langue » où l’« élan de l’enfance / revient / avec un bruissement d’insecte » pour rêver d’« un fabuleux banquet d’étoiles. »