Olivier Gallon, par Philippe Di Meo

Les Parutions

16 mars
2022

Olivier Gallon, par Philippe Di Meo

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Olivier Gallon,

        

               S’essayer à rendre compte d’une œuvre littéraire revient nécessairement à chercher la quadrature du cercle car, nous ne l’ignorons pas, toute création s’articule selon un réseau symbolique quand le discours critique tend à sa réduction rationnelle. Les textes les plus originaux nous rappellent pareil écart. Tel est bien le cas d’Ombra di Venezia.

         De quoi parlons-nous ? D’une série de douze fragments tout à la fois particulièrement denses et particulièrement fluides comme autant de vases communicants n’appartenant à aucun genre répertorié. C’en est tout le charme.

         Plusieurs fils s’entrelacent savamment d’étape en étape ou de station en station. Mais c’est une grossière approximation car, comme la lagune, tout y est dynamisme.

Tout d’abord, première circonstance, un individu, appartenant vraisemblablement à un groupe, arrive à Venise pour un tournage, dans le lieu témoin du premier traveling, largement fortuit, de l’histoire du cinéma. Installée sur un vaporetto, la caméra d’un envoyé des Frères Lumière y inventa, presque malgré elle, au gré du déplacement du bateau au fil de l’eau, un type de prise de vue inédit.

Nous avons ensuite, les impressions fugaces laissées non plus sur une pellicule mais sur la psyché d’un promeneur curieux de tout et de rien, de ces riens qui constituent le tout. Le « tout » provisoire d’une expérience. Autrement dit, d’un vécu. Nicolas Vatimbella souligne à raison cet aspect dans ses apostilles.

En troisième lieu, en surimpression[1] ou en filigrane, un souvenir comme estompé et dans le même temps omniprésent d’une fresque peu banale de Giandomenico Tiepolo intitulée Il mondo novo, en pur dialecte vénitien, aujourd’hui déposée au Palais-musée de Ca’ Rezzonico, et datant de 1791.

La surimpression, visuelle, de l’autrefois et temporelle, et donc mentale, du filigrane créent une synesthésie bienvenue qui donne au texte un et multiple une bonne part de ses résonances entre l’ici, le jadis et, peut-être, les parages de certain futur. Un « futur antérieur », dans le lexique inspiré d’un poète de Vénétie comme Andrea Zanzotto[2].

Mais qu’évoque-t-on par Mondo novo ? Une attraction foraine du XVIIIe siècle qui sollicita aussi Pietro Longhi, un autre peintre vénitien. Soit, une étrange et ample baraque foraine en bois munie d’une coupole, dont l’intérieur était recouvert de bas en haut d’une multitude de miroirs qui créaient un monde d’illusions transportant le spectateur hors le quotidien vers un monde justement nouveau. D’où son appellation et le titre de la peinture. Attraction, non fortuitement inventée à Venise car, nous ne l’ignorons pas, la ville était à cette époque le plus grand centre européen de production de miroirs, et des technologies afférentes, et notamment des miroirs plats, exportés dans tout le vieux continent et au-delà.

Bien évidemment, ces fils ne sont pas séparés dans le texte. Et, savamment noués, ils sont plus évoqués que platement brodés. Ils nous parviennent dans leur effilochage et leur scintillement comme le déformant miroitement moiré des flaques d’eau de la ville qui attire de loin en loin l’œil du narrateur.

Aussi, peut-on, comprendre la fresque, apparaissant disparaissant, comme la mise en abyme d’un lieu mythique telle Venise dans sa réalité moderne et passée, et dans sa réalité passée comme prédiction possible de son présent et du nôtre, précisément comme illusion mythique ou non. Davantage, comme anticipation potentielle des sociétés de masse et de leurs si nombreux et ombreux artifices. À leurs balbutiements.

Olivier Gallon n’assène pas un quelconque « message », il s’interroge et interroge délicatement une donnée de fait dans un écrit impur tour à tour impressionniste et méditatif.

Au XVIIIème, simple bizarrerie, peut-être, le divertissement diversement cocasse et marginal n’est-il pas devenu une composante essentielle du quotidien « aujourd’huien », pour parler comme Manganelli[3], ou de la « société du spectacle », pour parler comme Guy Debord.

Le compte rendu appuie là où le récit est plus dévolu à de fins glacis, de subtiles allusions et autres imperceptibles sensations amalgamés selon un fondu enchaîné de tous les instants venant contrarier toute interruption de la lecture.

Des définitions de qualités secondent le mouvement. Cédons au plaisir d’une citation éloquente : « Venise est une seule phrase ». Ce pourrait être, en raccourci, la poétique du livre. C’est que, prenant, passant sans cesse d’un registre à l’autre, l’ensemble est senti par le lecteur comme une écriture en archipel.

 

1]  Pour cette notion, cf. Andrea Zanzotto, Vocatif suivi de Surimpressions, Maurice Nadeau, 2017.

[2] Cf. le poème intitulé : Futurs simples - ou antérieurs ? in Andrea Zanzotto, Phosphènes, José Corti, Paris, 2010.

[3] Cf.  , parmi beaucoup d’autres, Giorgio Manganelli, Angoisses de style, José Corti, Paris, 1998.

 

 

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