"Cingria, l'extincteur & l'incendiaire" (coll.) par Philippe Di Meo
On l’a fait venir de Constantinople pour être Suisse, ce qui n’empêche pas cet indomptable inclassable de porter à l’occasion le fez, entre autres attributs souvent désopilants.
Adroit acrobate du théâtre alphabétique et syntaxique, styliste virtuose et original, érudit consommé au lexique souvent imprévisible, cet irrégulier, s’il en est, méritait bien pareil hommage. Sa belle calligraphie, les nombreuses photographies qu’il nous a léguées, si souvent facétieuses ou pittoresques, les nombreux portraits que des artistes insignes en ont fait au fil des ans se prêtaient bien à pareille initiative.
Qui plus est, dans le champ littéraire, n’est-il pas un précurseur ayant su bâtir une œuvre variée traversant bien des genres sans s’identifier pleinement à aucun d’entre eux ? Et cela, à une époque où les crédos historicistes sévissaient aussi naïvement que cruellement, mêlant à qui mieux mieux lyrismes technologiques, vaticinations politiques et autres prophétismes esthétiques diversement délirants qui nous ont menés là où nous sommes si désastreusement embourbés : un horizon mental et matériel omniproductiviste.
Charles-Albert Cingria a su renouveler le texte littéraire en indifférenciant relativement plusieurs types d’écriture : de la fiction à l’essayistique dans un style éblouissant particulièrement expressif fondé sur une érudition patente restituée avec une fraîcheur désarçonnante fondant une autre littérature. Une littérature rebondissant d’une barre à l’autre d’un invisible espalier mental mimant le mouvement d’une pensée impossible à isoler dans un seul lieu ou dans un seul registre. Décloisonner semble être son maître mot. Comment ne pas être sensible à pareille exemplarité ?
La préface de Valère Novarina, qui rapporte également quelques anecdotes familiales savoureuses et une délicieuse devinette de l’écrivain que nous ne déflorerons pas, augmente et, de beaucoup, ce fin travail documentaire.