David Alliot, "Madame Céline" par Philippe Di Meo

 

À propos, quand "Madame Céline" est-elle née ? À Paris, le 20 juillet 1912 au fond d’une cour du 12 rue Monge ou au printemps 1936, date de sa rencontre de l’écrivain ?

Nous sommes en droit de nous le demander, tant les informations sont rares pour la période 1912-1936. Tant l’intérêt pour sa personnalité découle, bien évidemment, essentiellement de sa longue relation avec Louis-Ferdinand Céline.

Quoi qu’il en soit, "Lucette" naît Lucie Gabrielle Almansor de Jules, trente ans, expert-comptable chez le couturier Patou, et de Gabrielle Pétronille Alexandrine Donas, âgée de vingt ans, sans profession. L’origine paternelle est percheronne. La branche maternelle est, pour sa part, enracinée dans les Flandres belges. La mère de la danseuse est née à Bruxelles. Le mariage fut célébré le 27 janvier 1910 à Argenteuil.

C’est au cours de Blanche d’Alessandri, fréquenté avec le peintre Gen Paul, que l’auteur du Voyage au bout de la nuit fait la connaissance de Lucette Almanzor.

Tous les lecteurs de l’œuvre n’ignorent pas combien le médecin écrivain aimait les corps sains des danseuses. Ils n’ignorent pas non plus que l’une d’entre elles, Elizabeth Craig, la dédicataire de son premier roman, fut vraisemblablement le grand amour de sa vie.

C’est cependant le décalque littéraire de "Lucette" que l’écrivain choisira pour relater ses pérégrinations de la fin de l’année 1945 de Sigmaringen à Copenhague à travers une Allemagne apocalyptique dévastée par la guerre. Et pour cause, car, nous le savons, l’œuvre procède de bout en bout d’une autobiographie tout à la fois documentée et fantasmée. Céline la métamorphosera en "Lili", sa fidèle compagne d’infortune.

Et cet aspect nous révèle toute la difficulté de l’entreprise biographique menée à bien par David Alliot. Car, hormis les textes de Céline, quelques témoignages, dont les siens sur les dernières années de notre personnage, les sources manquent cruellement, "Lucette" n’ayant pas laissé de mémoires ni, semble-t-il, de correspondance. Aussi sa vie s’identifie-t-elle largement, et également par la force des choses, à celle de Céline.

Entreprenant le récit de la vie de "Madame Céline", le biographe relate fatalement celle de l’écrivain, abondamment attestée par une foison de documents, d’une part, et, d’autre part, par l’œuvre. Aussi, "Lucette" est-elle le plus souvent l’ombre portée du romancier. À un point tel, qu’à la lecture de ce travail circonstancié, on en apprend probablement davantage sur Louis-Ferdinand Céline que sur Lucette Almanzor. Inévitablement.

Aussi la vie de "Lucette" lorsqu’elle n’est pas "Lili", s’avère non seulement mal connue mais de surcroît au bord de l’inconnaissable.

Avant 1936, une carrière de danseuse semblait prendre tournure. Elle détermina le choix du pseudonyme "Almanzor ", jugé plus "commercial." Un premier accessit au concours de danse du Conservatoire lui ouvre les portes de l’Opéra-Comique qui l’engage en 1932. Lassée de l’esprit d’intrigues perpétuelles du lieu, elle en démissionne en 1935. Engagée par les « Fisher’s Folies », elle part alors en tournée aux États-Unis. Elle se produit à Miami et à New York. Elle est la seule française de la troupe.

Malheureusement le rythme infernal de cette période lui sera fatal. Elle se couche, par exemple, à 5h du matin pour reprendre des cours de danse à l’American School trois heures plus tard. C’est ainsi qu’un accident au genou, probablement dû à la fatigue, entrave définitivement sa carrière.

De retour en France, elle commencera une carrière de professeur. Et puis, Céline viendra…

Après le retour du couple à Paris, dans l’après-guerre, elle poursuivra ce métier jusqu’à un âge avancé.

Au-delà, elle a joué, activement, un rôle dans la diffusion de l’œuvre du romancier et polémiste en interdisant la réimpression de Bagatelles pour un massacre, et notamment son édition pirate italienne. Et, indirectement, du fait de sa longévité, la diffusion de l’œuvre de son mari s’en est trouvée retardée. Car le ou les dépositaire(s) d’un considérable fonds inédit dérobé au domicile de l’écrivain en 1945, n’avaient pas voulu qu’elle en dispose de son vivant.