Cadence, essai autobiographique de Jacques Drillon par Matthieu Gosztola
Pour reprendre la formulation de Stéphane Bouquet, Jacques Drillon n’est pas du tout juste lui posé dans les choses variables, mais le résultat d’une longue addition, une suite de gens qu’il contient. Nous sommes des abris et des gens sont nos abris.
Ainsi, dans Cadence, lorsqu’il s’agit pour Jacques Drillon, par cet « essai autobiographique », d’élaborer la propédeutique qui lui permettra d’atteindre, peu à peu, à la connaissance de sa véracité, ou du moins de presque épouser, telle une asymptote, ce moment de connaissance (« Personne n’est encore jamais tout à fait parvenu à la connaissance de sa véracité », a prévenu Nietzsche*), ainsi rend-il justice au poète Henri Millot, qu’il ressuscite (pour se donner lui-même corps), de cette manière :
Il s’appelait Henri. […] [A]vant toute chose, […] il était un grand poète. Il écrivait en fumant des Gitanes. Des pages noircies, quelques vers conservés. Les corbeilles à papier toujours pleines. Ponge disait : « De papier à panier, il n’y a que l’espace d’une consonne. » Peut-on dire qu’Henri Millot, médecin chef de l’hôpital d’Algrange, Moselle, était poète ? Autant qu’on peut l’être. Sensible à la plus petite variation de température, de sentiment, de réalité, il notait le monde, et soi-même. Beaucoup de désir, de peau, de vibrations. Des images qui viennent du corps et de la terre, et permettent d’y retourner. Quand on a mis ses mains gantées dans un ventre ouvert pendant plusieurs heures, on écrit autrement. […]
Refermant Cadence, il vous prendra doucement l’envie de renouveler votre carte d’accès à la section rez-de-jardin de la BnF. Aussi aurez-vous, la ligne 14 empruntée, le loisir de lire La Colline d’attente, colline référencée sous la cote 8-YE-25250. Et la notice consacrée à « Millot, Henri forme internationale » sur le site de la BnF, indique juste : « Poète. » Merci à Jacques Drillon d’avoir fait courir une rivière de mots (l’un des nombreux affluents de Cadence) sous ce substantif. Chacun de ces mots ayant contribué à faire que passe de l’ombre à la lumière une vie jusqu’à présent oubliée de tous. De tous. Jusqu’à présent.
* Cf. Œuvres philosophiques complètes, tome IX, Fragments posthumes, été 1882-printemps 1884, traduction française par A.-S. Astrup et M. de Launay, Gallimard, 1997.