Œuvres complètes de Virgile par Matthieu Gosztola
Cette édition Pléiade (bilingue !) est fantastique.
Elle permet de mesurer à quel point l’originalité de Virgile naît, dès sa première œuvre (« une des compositions les plus minutieusement agencées que nous ait jamais livrées la littérature », comme l’a rappelé Jacques Perret dans son Virgile paru aux Éditions du Seuil en 1959), de la façon qu’il a eue d’être singulier sans jamais cesser d’être en lien non avec la tradition mais avec la souvenance (à jamais fleurissante, en lui) de quelque parole ancienne, aimée, chérie même : celle du poète Théocrite (v. 300-v. 250 av. J.-C.), Grec de Sicile, auteur des Idylles. Aussi l’éclat du singulier (et qu’y a-t-il de plus singulier que les Bucoliques…) ne peut-il embrasser (chaste baiser) que le verre éraflé du temps, pour s’y refléter suivant le jeu (savant jeu) que la danse met dans sa manière d’être au monde.
Virgile « jongle avec le texte grec », constate Philippe Heuzé, « en variant, autant qu’il se peut, les modalités de l’imitation. Tantôt il le cite textuellement, tantôt il le décalque, le démarque, le travaille, reprenant un mot, une forme, un mouvement, les transposant, les contaminant, les inversant ».
Un exemple ? La troisième Bucolique commence par une « traduction » des deux premiers vers de la quatrième Idylle.
Théocrite : « Dis-moi, Corydon, à qui ces vaches ? Est-ce à Philondas ? / Non, à Egon ; il me les a données à garder. »
Virgile : « Dis-moi donc, Damétas, c’est à qui ce troupeau, à Mélibée ? / Non, c’est à Egon ; Egon vient de me le confier. »