œuvres complètes de François Villon par Matthieu Gosztola
Voyou, Villon ? Et tout ce qui va avec ? On a trop pris pour argent comptant les formules de désinvolture du poète : « Car de lire je suis fetart », « fetart » ayant ici le sens de « paresseux », ou « je fuyoie l’escolle / Comme fait le mauvaiz enffant ».
En réalité, Villon a la culture d’un clerc, mais d’un clerc proche de la basoche*, proche du monde du théâtre. Il connaît intimement la Bible, qui revient, par citations, sous sa plume, dans un mouvement incessant (sa culture est d’abord celle d’un homme du Moyen Âge) ; une figure le retient tout particulièrement dans le miroir que lui tend le texte biblique : Job. Sa culture de maître ès arts** lui fait fréquenter, reconnaître, ressentir en latin Aristote et ses commentateurs, Virgile, Macrobe, – sans oublier, bien sûr, les classiques de l’enseignement grammatical comme le Donat... En français, son bagage repose sur le Roman de la Rose, qu’il possède de façon approfondie et qu’il cite souvent, de manière directe ou oblique. Il a lu Rutebeuf...
Et s’il use de l’eau des textes aimés pour tout à la fois se rafraîchir (y voir plus clair) et s’abreuver, cette eau que lui tend sa mémoire***, c’est la langue orale qui retient le plus son attention, dans ses multiples embardées, du vulgaire au docte, dans ses frémissements d’épousée ; dans sa sauvagerie enfin, que rien, jamais, ne pourrait lui faire perdre, quand elle se fait le messager d’un cœur et d’un corps ayant dû lancer, – millimètre après millimètre –, leurs racines dans le sol si friable de la pauvreté.
Cette édition savante de l’œuvre complète du poète offre en outre un éventail – bienvenu – des lectures qui furent faites et de l’œuvre et de l’homme (en définitive de la légende, qu’elles ont, toutes, à un degré ou à un autre, conforté, guidé dans son établissement), en même temps qu’elle rassemble les documents d’archives permettant que soit approchée, de loin ou de près, voire (parfois) de très près, la figure du grand homme (ou grand polisson, c’est selon).
À ceci sont ajoutés, parfaitement imprimés, les beaux bois gravés de l’édition Trepperel, ce qui ne laisse pas de ravir...
* Communauté professionnelle des clercs de justice.
** Né à Paris vers 1431, Villon est reçu bachelier de la faculté des Arts en 1449 et maître ès-arts en 1452.
*** Ainsi, la Bible à laquelle le poète se réfère n’est ni de « beuf » ni de « cordouen » (Le Testament), ce qui signifie qu’elle n’est pas reliée en cuir. « Elle est inscrite dans le cœur », note Jacqueline Cerquiglini-Toulet.