Oiseaux, extraits de Dominique Quélen par Bruno Fern
Sur une feuille de format habituel pliée en quatre (selon les principes de la maison d’édition), voici donc huit textes d’une longueur équivalente, numérotés et faits d’une prose apparente dont les phrases, brèves pour la plupart, sont parfois syntaxiquement tronquées. Le lexique y est « poétiquement » appauvri, c’est-à-dire qu’il renvoie à un usage dit courant de la langue – qui, pourtant, ne va pas de soi. Ces échantillons issus d’un ensemble en cours d’écriture permettent de distinguer quelques-uns des traits stylistiques de Dominique Quélen, tels qu’ils se manifestent dans ses derniers livres, dont Énoncés-types (TH. TY. Théâtre Typographique, 2014).
S’il est question d’oiseaux, alors c’en est de drôles, non pas au sens où ils seraient comiques – même si l’humour transparaît dans certains énoncés où le tragique est radicalement refroidi : « Vivre est très bien. » (texte 1) ; « Vivre ? Pas la peine de vivre tant que ça. » (texte 2) – mais plutôt bizarres, ainsi que l’est (air connu) le beau qu’il ne faut pas confondre avec les joliesses d’un lyrisme dont l’espèce demeure malheureusement invasive. De plus, ces huit extraits suffisent à prouver que l’on a ici affaire à une véritable suite, avec reprises et développements de motifs de l’un à l’autre, en particulier ce qui touche au statut liquéfié[1] de l’auteur qui, au moins dédoublé, ne cesse pas d’être interrogé, apostrophé : « Arrive. Arrive une seconde et figure-toi ça. » (texte 1) ; « Arrive ! Tu as une incroyable figure jaune ! En plastique ? Prise ou venue avec quoi ? » (texte 2) ; « On y va. Ça se sait et on est trop nombreux. Quel binz ! » (texte 7). Cela dit, ce ressassement ne constitue cependant pas une répétition mortifère ; au contraire, il tente, grâce à un agencement où tout se retrouve subtilement décalé[2], de secouer non seulement celui qui écrit (et, du même coup, le lecteur) mais surtout la langue, histoire de la remuer dans la plaie de l’existence, en pratiquant de multiples détournements – par exemple, à travers l’usage des verbes, particulièrement celui des auxiliaires : « On est dans un habit. » (texte 1) ; « On a sa tenue. On est à vif dans un sac moins lourd.» (texte 4) ; « On n’a qu’à être. » (texte 5). Par endroits, des circonstances peuvent être discernées (dans le texte 4, une sortie à la piscine), comme les échos d’un monde éprouvé et éprouvant (diverses atteintes portées au corps sont régulièrement mentionnées) qui ne saurait que rester à distance. En effet, la plupart du temps, chacun des textes, loin de proposer un récit[3], semble suivre sa propre logique de composition et forme une unité nettement délimitée, parfois cyclique (ainsi, le deuxième commence par « Arrive ! » et se termine avec « Une erreur arrive. », le troisième par « On est ici ? » et « Un des deux devine mais y est-on ? »), tout en établissant des liens évidents avec les autres, comme s’il représentait le fragment d’un ensemble qui n’en finirait pas de se diffracter. Car si le but visé (celui d’un malheur plus ordinaire) est souvent évoqué, c’est sans illusions quant à la possibilité d’y parvenir définitivement : « Et la vie apparaît à nos orifices ? Une issue. Les aura-t-on tous vérifiés ? Par un jeu on fuit et stoppe. Qui met du liquide peut passer ce fleuve. Il est en bois. Quel trucage ! Trop fort ! On sait qui. Croit-on. » (texte 8), Dominique Quélen sachant à quel point l’écriture est une condition (de vie) aussi nécessaire qu’insuffisante.
[1] La récurrence des termes renvoyant à des éléments liquides est très nette, comme si le texte cherchait sans cesse à limiter des débordements inévitables, à les contenir tout en en apportant les preuves.
[2] Car tissage et décalage sont les deux mamelles de l’écriture.
[3] « C’est narratif à ce degré où un liquide est ce qui avance. » (texte 7)