Pauvre Baudelaire de Jules Vipaldo par Bruno Fern
Apparemment, un dénommé Jules Vipaldo, poète de son état, aurait effectué, par un jour qui demeure indéterminé à l’heure où nous écrivons, le trajet ferroviaire Marseille-Bruxelles, faisant alors partie d’un groupe de collègues aussi sudistes que lui – groupe où l’on reconnaît facilement quelques figures notoires du Milieu, d’ailleurs citées dans l’index. Une fois parvenus dans cette ville où il pleuvait entre deux averses, ces auteurs y auraient participé à une séance de lecture publique suivie d’une « discussion à livre ouvert » avant de s’en retourner fissa vers leurs cieux méridionaux plus cléments.
C’est probablement à l’occasion de ce voyage que l’individu susdit contracta une forme rare de verheggenite aiguë (même s’il devait déjà couver cette affection du langage, à en juger par certaines traces visibles çà et là[1]) qui prouve que l’on peut toujours ne pas être sérieux quand on file vers ses 37 ans[2]. En effet, on en distingue différents symptômes caractéristiques : le patient semble n’avoir pas hésité bien longtemps devant le moindre calembour qui lui traversait les neurones ; il a sécrété en surabondance néologismes et onomatopées ; sa langue a présenté l’intégralité des couleurs décrites dans les nuanciers lexicaux d’usage courant, du jargon philosophico-chic jusqu’à l’argot ; il a usé et abusé des ficelles de l’art dit poétique (vers rimés ou pas, assonances, allitérations & tutti quanti) mais il s’en est tout autant servi pour ligoter la pauv’ Hésie[3] au premier (pré)texte venu que pour rajouter des cordes à sa lyre made in Belgium.
Cela étant, deux incertitudes majeures subsistent quant au diagnostic à porter sur cet opus (dont le titre est évidemment un rappel du pamphlet baudelairien contre la Belgique, ici remplacée par la malheureuse victime évoquée ci-dessus) : 1) est-il suffisamment drôle ? 2) s’il l’est, ne faut-il le considérer que sous cet angle ? J’y répondrai en une seule opération à l’aide du prélèvement suivant, ce qui donnerait 1) oui, la plupart du temps ; 2) non car il fait preuve d’une férocité qui touche parfois juste : « Voici venu le temps des scies et des glands ; scieurs de rengaines dégainées comme des tables (de la loi ?), des rengas gras ; glandeurs de ritournelles montées en boucle, sampleurs mais pas sans reproche (Une ritournelle ne fait pas le printemps – des poètes ou des potes) ; moulin à « bonnes paroles », Don Qui Chiottesque, remplaçant les complaintes pleurardes aujourd’hui montrées du doigt ; expérimentations qui se jugent, elles-mêmes (le nombril est proche de la merde), à l’aune de leur plus grand écart (à la norme, l’énorme) ou de leur risque (prétendu tel) : risque-risque-rage ! Somme toute, bénin et risible, si ce n’était l’aplomb, la prétention insigne qui sous-tend tout cela. Voire, l’absence d’autodérision et d’humour qui caractérise le plus souvent ces textes et interventions, volontiers tapageurs, bruyants, excessifs (« L’excès est l’impudeur des imbéciles », disait le poète chinois Sussati Ja[4]) et résolument salés, spectacuculaires, sales dantesques même, dans leurs sexplorations éplorées les plus sonorifiques, soporifiques, textruelles ou lettristes (Ce cher lettriste est las, il n’a lu aucun livre).» Toute ressemblance avec des personnes etc. ne serait donc pas fortuite.
[2] Du moins si j’en crois le peu appris sur l’auteur : « Né en 1979, Jules Vipaldo vit et travaille dans le Bas-Berry. On le définit souvent comme « pitre, poète du pire, trousseur de fables, malaxeur de vocables » alors qu’il est sérieux comme un sous-pape. »
[3] Personnage récurrent qui joue souvent le rôle de souffre-douleur dans cet ouvrage : « Sus à la poulette d’ici, à la poubelle-ci, à la poule Hésie, la papouhésie, la pou’Hésie ! Etc. »
[4] Cela dit, j’en profite tout de même pour glisser cette phrase de G. Bataille que cite avec raison C. Prigent à la page 34 de Editions P.O.L - La Langue et ses monstres - Christian Prigent : « Il faut le système et il faut l’excès. »