Préparation au Discours de clôture de Homàlyos Zoltàn par Bruno Fern

Les Parutions

17 juin
2009

Préparation au Discours de clôture de Homàlyos Zoltàn par Bruno Fern

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Zolt·n Hom·lyos, né en 1972 à Budapest, écrit directement en français. Extrait d'un livre en cours dont il constitue l'un des 30 chapitres, ce bref ouvrage droit, rétif aux commentaires, se présente donc d'emblée comme devant préparer un terrain : creuser en le même endroit, ce sont des phrases qui se préparent.

Un tel objectif expliquerait qu'apparaissent successivement, avant le texte, tout d'abord la photographie en noir et blanc d'un paysage champêtre, rendu étrange non seulement par la surexposition - le contour est flou, de plus en plus, la zone ne se définit plus avec les yeux - mais aussi par un sol évoquant les coulées d'une matière à laquelle il s'agirait de donner forme et mouvement , puis, après un rectangle noir dans un format et une position identiques sur la page, une autre photographie, aux mêmes caractéristiques que la première, d'un chantier qui pourrait correspondre à celui de l'écriture. Photographies et texte seraient alors à concevoir comme la transcription des morceaux noirs. Cette perspective justifierait également les schémas géométriques qui, au long du livre, seraient autant d'indications pour le discours à venir, tous ayant en commun une double flèche dont on retrouve des échos dans le texte : Qu'autrefois sais-je la fuite en avant est maintenant perçue comme une fuite en arrière, une retombée de suite : à la fois.

Cela dit, cet axe prévisionnel a ses limites, d'ailleurs clairement énoncées : Je sais que la géométrie en voudrait bien, elle en voudrait faire une base pour comprendre ce qui l'a fait être, lançant des lignes au travers circonscrit de la chose. En effet, les phrases prononcées se suivent à l'image du manque, particulièrement sensible par la fréquente agrammaticalité qui laisse en suspens : ruptures et inversions syntaxiques, ellipses, usage insolite des prépositions, des pronoms, etc. - il y a ici suffisamment de quoi réveiller le lit-cerveau et l'obliger à adopter une posture insolite : comme être sous la lecture .

Malgré ces formes lacunaires, créatrices de déséquilibres, le texte possède cependant, par une série de reprises internes, de creusements, une densité où l'essentiel est de multiplier les approches, tant qu'à observer sans voir quoi que ce soit, d'entrer dans les détails où se mêlent étroitement considérations abstraites et éléments renvoyant à une matérialité quotidienne, sachant qu'est revendiquée une ontologie sans sujet, d'une objectivité mais ouverte, d'une subjectivité mais fermée. Plus minérale qu'éthérée, l'écriture de Z. Hom·lyos n'en est donc pas moins mise en branle par ces différentes secousses syntaxiques, la question de la vitesse étant justement l'un de ses leitmotivs : noms inidentifiables de l'un et de l'autre, à l'essai lancé des objets au-dessus et de très vite - que d'observer la chute. Cette dynamique agglutinante relèverait alors de ce que l'auteur désigne comme étant sa principale intention, la commémoration, effectuée par un texte à la fois singulier (solitaire) et faisant monter à sa surface aussi bien les traces d'une Histoire (où coexistent les vestiges du socialisme dit réel et le clinquant de l'ultralibéralisme) que celles de la Nature :

Le geste, s'il faut en prendre un parmi, tuant le poisson fraîchement pêché, recouvert de vase et frapper contre la cloison. En plein champ, en pleine rive. En cherchant aussi le bord de la tempête, et plus en amont.

Enfin, cette écriture s'inscrit d'une part dans un entre-deux linguistique , ce dont témoignent les passages en hongrois, blocs plus énigmatiques que calmes pour le lecteur francophone (par exemple, le passage d'Amerika ou le Disparu traduit par Z. Hom·lyos lui-même), et d'autre part dans un ensemble de références qui vont de Montaigne à Einstein - ce qui rajoute encore quelques couches à son ouverture, son foisonnement, et éclaire peut-être le glissement qui, dans le texte liminaire, s'effectue d'une préposition à l'autre - du discours de clôture au discours en clôture - tant il semble difficile d'arrêter définitivement la lecture :

La recherche du point fixe dans le déroulement ne peut pas faire l'économie du déroulement lui-même, les divers aperçus, les changements fréquents de points de vue, toute une réponse. D'être anoblie sous la menace comme citoyen sous la torture. L'Etat, cliquetis de ces passages de statuts. Un seul côté. La température et la sensation de la formation d'une phrase au fond de la langue.



1 V·laszfal (cloison). Un extrait du chapitre 9 (compositions florales) est lisible : ici ; quant au Discours de clôture, il est paru dans la revue Hapax, n°4, juin 2007.
2Gris des plantes, morceaux granités à la surface qui montent un peu le long du muret qui sépare le jardin du jardin.
3Ce qui distingue la poésie de la parole machinale, c'est que la poésie justement nous réveille, nous secoue en plein milieu du mot. (O. Mandelstam)
4 De ces deux langues, chacune est établie à partir de l'autre, c'est-à-dire à partir de son image palindromique, illisible sauf en retraversant la vitre par la pensée; et c'est pourquoi, en fait, je ne suis dans aucune langue, toujours traduisant. (Jacques Roubaud)
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