29 mai
2008
Revue Fusées n°13 par Bruno Fern
Entre une préface intitulée Les printemps, c'est mauvais pour les gouvernements (même en 2008 ?) et une insolite recette de cuisine, Le rôti d'opossum de tante Donnah, le dernier n° de la revue Fusées offre de quoi lire en 5 parties :
1 : par Philippe Boutibonnes et Mathias Pérez, 43 points (qui ne sont apparemment qu'un début magistral) comme autant de tentatives d'appréhender la nomination des corps, d'essayer de penser cette difficulté (le mot est faible), de la creuser dans la langue en mêlant tous les registres avec subtilité et énergie (puisqu'il s'agit d'Apostrophes au zoo), au long d'un bestiaire où l'humain a forcément sa part : « l'homme, je ne peux le connaître sui generis, suis dedans depuis pas mal de temps 7 j / 7 comme au Mac Do. Je ne peux m'en extraire. Je considère alors ce que j'ai été avant d'être celui que je suis : je tiens à la ruse de l'axolotl (face hilare, plantée comme un litchi épluché et fendue de joue droite à joue gauche. Deux yeux vifs sans peau piqués sur le sommet. Frugal mais rusé) et à la ponte de l'ornithorynque, fait comme un rat et comme Odradek de bric et de broc. »
2 : à travers textes et photographies, l'histoire de la bibliothèque Medem, fondée en 1928-29, qui a fusionné depuis 2002 avec l'Association pour l'étude et la diffusion de la culture yiddish et constitue désormais à Paris la plus grande bibliothèque d'Europe dévolue à cette culture. De l'un des onze animateurs des lieux, cette phrase qui en dit long : « Je ne sais pas combien de langues parlait mon père. »
3 : un ensemble consacré à la maison d'édition américaine Jargon qui, depuis 1952, à travers plus de cent volumes, donne plus qu'un aperçu de la poésie américaine de la seconde moitié du XXe siècle : Creeley, Olson, Levertov, Mina Loy, etc. De son fondateur récemment décédé, Jonathan Williams, on peut lire ici un auto-entretien (traduit par Rachel Stella) qui vaut le détour : «ç'a été mon affaire, avec d'autres (W.C. Williams, Louis Zukofsky, Lorine Niedecker), de tenter d'élever « le commun » au sublime, de prêter attention au truculent. Je n'écris pas plus pour le commun que pour les beaux esprits. Je fais des poèmes pour ceux qui en veulent.» Dans la foulée, les traductions de Jacques Demarcq prouvent à quel point une telle prise de position fut fructueuse :
ENTHOUSIASTE
la littérature - notre façon de mûrir
en dialoguant, disait
Edward Dahlberg *
nous, fleurs bavardes, étanchons
nos soifs au cognac des discours échauffés, le chant
sue par nos pores,
dégouline en essaim
sur le clavier sonore,
et se répand le pollen
sur le papier noirci...
toujours désœuvré - avant
et après
l'acte :
faisant notre miel
de voyelles
dans des cellules
qui collent aux pattes
Pour clore ce dossier, quelques traductions de textes d'auteurs publiés chez Jargon et le catalogue complet de ces éditions.
4 : un cahier Inventions où l'on peut lire, parmi d'autres, des textes de Félicia Atkinson, Eric Clémens et Valérie Rouzeau.
5 : dans une première contribution au thème de la paresse, Daniel Dezeuze présente un livre de Kazimir Malevitch, La paresse comme vérité effective de l'homme, écrit en 1921, à contre-courant du stakhanovisme naissant : « Le travail doit être maudit, comme l'enseignent les légendes sur le paradis, tandis que la paresse doit être le but essentiel de l'homme », propos toujours d'actualité puisqu'ils ne manqueront pas de faire plaisir à notre bon président.
* Artiste « brut » afro-américain.
1 : par Philippe Boutibonnes et Mathias Pérez, 43 points (qui ne sont apparemment qu'un début magistral) comme autant de tentatives d'appréhender la nomination des corps, d'essayer de penser cette difficulté (le mot est faible), de la creuser dans la langue en mêlant tous les registres avec subtilité et énergie (puisqu'il s'agit d'Apostrophes au zoo), au long d'un bestiaire où l'humain a forcément sa part : « l'homme, je ne peux le connaître sui generis, suis dedans depuis pas mal de temps 7 j / 7 comme au Mac Do. Je ne peux m'en extraire. Je considère alors ce que j'ai été avant d'être celui que je suis : je tiens à la ruse de l'axolotl (face hilare, plantée comme un litchi épluché et fendue de joue droite à joue gauche. Deux yeux vifs sans peau piqués sur le sommet. Frugal mais rusé) et à la ponte de l'ornithorynque, fait comme un rat et comme Odradek de bric et de broc. »
2 : à travers textes et photographies, l'histoire de la bibliothèque Medem, fondée en 1928-29, qui a fusionné depuis 2002 avec l'Association pour l'étude et la diffusion de la culture yiddish et constitue désormais à Paris la plus grande bibliothèque d'Europe dévolue à cette culture. De l'un des onze animateurs des lieux, cette phrase qui en dit long : « Je ne sais pas combien de langues parlait mon père. »
3 : un ensemble consacré à la maison d'édition américaine Jargon qui, depuis 1952, à travers plus de cent volumes, donne plus qu'un aperçu de la poésie américaine de la seconde moitié du XXe siècle : Creeley, Olson, Levertov, Mina Loy, etc. De son fondateur récemment décédé, Jonathan Williams, on peut lire ici un auto-entretien (traduit par Rachel Stella) qui vaut le détour : «ç'a été mon affaire, avec d'autres (W.C. Williams, Louis Zukofsky, Lorine Niedecker), de tenter d'élever « le commun » au sublime, de prêter attention au truculent. Je n'écris pas plus pour le commun que pour les beaux esprits. Je fais des poèmes pour ceux qui en veulent.» Dans la foulée, les traductions de Jacques Demarcq prouvent à quel point une telle prise de position fut fructueuse :
ENTHOUSIASTE
la littérature - notre façon de mûrir
en dialoguant, disait
Edward Dahlberg *
nous, fleurs bavardes, étanchons
nos soifs au cognac des discours échauffés, le chant
sue par nos pores,
dégouline en essaim
sur le clavier sonore,
et se répand le pollen
sur le papier noirci...
toujours désœuvré - avant
et après
l'acte :
faisant notre miel
de voyelles
dans des cellules
qui collent aux pattes
Pour clore ce dossier, quelques traductions de textes d'auteurs publiés chez Jargon et le catalogue complet de ces éditions.
4 : un cahier Inventions où l'on peut lire, parmi d'autres, des textes de Félicia Atkinson, Eric Clémens et Valérie Rouzeau.
5 : dans une première contribution au thème de la paresse, Daniel Dezeuze présente un livre de Kazimir Malevitch, La paresse comme vérité effective de l'homme, écrit en 1921, à contre-courant du stakhanovisme naissant : « Le travail doit être maudit, comme l'enseignent les légendes sur le paradis, tandis que la paresse doit être le but essentiel de l'homme », propos toujours d'actualité puisqu'ils ne manqueront pas de faire plaisir à notre bon président.
* Artiste « brut » afro-américain.