TENTACULE de Khalid EL Morabethi  par François Huglo

Les Parutions

10 sept.
2023

TENTACULE de Khalid EL Morabethi  par François Huglo

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TENTACULE de Khalid EL Morabethi 

 

 

            « Khalid EL Morabethi vit, étudie, cultive son jardin au Maroc à Oujda, il crée », lit-on en 4e de couverture de Tentacule, n°38 de la collection Architextes de l’Atelier de l’agneau qui, en 2017, avait publié E.X.E.R.C.I.C.E.S dans sa collection 25 premier livre. Le jeune auteur peut parfois rappeler d’autres familiers du même éditeur : Philippe Jaffeux dans le court-circuit des aphorismes (« Je n’attends pas l’inspiration pour écrire un texte écrit. J’écris », ou « Toutes mes clés ne font qu’illustrer mes phrases cryptiques. Toute ma lumière crée des zones d’ombre », Aldo Qureshi dans le scénario cauchemardesque (« La chambre 8 est le seul moyen, je dois être propre et surtout ne pas trop respirer, surtout ne pas trop manger (…) je ne dois pas mourir avant d’être puni »). On pense aussi à Tarkos malaxant la pâte verbale : « Je mets le triangle et la tête dans le bidon. Je mets la tête ressemble à un triangle dans le bidon. Je mets les sommets et les côtés du triangle de la tête dans le bidon ». Ou : « La carapace calcule les calculassions calculées. Genre les vibrations viendront ajouter des vibrations font des vibrations dans l’absolu ». Au jeu de cartes d’Alice : « Mon cœur est un dix, j’ai appris à ne pas trembler, absolument pas, certainement pas, sinon c’est un trois ». Ou aux gâteaux provoquant ses métamorphoses : « Le miel qui s’enfonce dans la gorge et le cerveau qui devient flou, compétent et normal (…) et bientôt tout ce qu’il est possible de faire est de supplier pour avoir plus, encore plus, au moins pas comme la première dose, pas comme d’habitude ». Très Lewis Carroll encore : « j’ignore la confusion et le dégoût dans les yeux qui me regardent de derrière le miroir, je suis de l’autre côté ». On pense aussi à Gertrude Stein : « TROIS PAPILLONS FONT TROIS PAPILLONS FONT TROIS PAPILLONS FONT… ». Mais une Gertrude Stein qui retrouve Alice : « Tentacule par amour m’avait brisé les ailes pour que ma tristesse soit terminée. Puis j’ai bu le poison pour que mon visage se décompose et pour que je me distingue ».

 

            Les villes tentaculaires, voire totalitaires, sont intérieures. « Oui, Tentacule est en train de diriger tous les agents de la ville vers des études d’architecture, c’est très important et surtout ses creusements ». Et « tout agent rêve d’être un architecte, il faut juste que l’esprit soit préparé à accueillir l’idée ». Consentement à la subordination ? « Je vais donc embrasser l’arbre du Tentacule. (…) je dois gagner la confiance chaque jour, et mon visage, mon premier visage, le visage difficile à aimer, je dois le cacher, mon visage n’a pas à passer en premier ».

 

            On se souvient du cri de fin de meeting poussé par un candidat aux présidentielles françaises : « Parce que c’est notre projet ! ». Le projet de qui ? La question revient chaque fois que le mot est répété : « On va planter une plante dans la langue blanche. C’est notre projet ». Il faut faire sortir « 218 pyramides alignées » du « pétrin que le tentacule avait bien placé au milieu de mon ventre le jour de ma naissance. Les puits, c’est un autre projet ». Plus loin, « le projet joue avec les montagnes », ou il « conduit la respiration ». Quand « tous les agents de la ville » considèrent Tentacule « comme une faute juste », je « réponds que oui, je travaille sur le projet qui va prendre la cuisine ».

 

            « Je réponds que oui » est l’une de ces formules répétées quasi automatiquement, comme « et c’est bien », « voilà », « ça n’a aucun rapport », « mais ce n’est pas grave », « genre », « c’est possible », « c’est évident », « c’est vrai », « ça tourne », « comme par hasard ».

 

            L’usage du « comme » est celui de Lautréamont dans son « beau comme ». Citons : « je suis heureux comme un innocent guillotiné (…) je suis très heureux comme le malentendu », « En vie comme un ancien aspirateur », « Le futur simple est composé comme l’œil du brancardier », « je suis handicapé comme une lampe de bureau à prix pas cher ou comme une cuillère d’un bon restaurant ou bien comme le sourire d’un nouveau riche », « C’est beau comme des cabinets comptables qui dansent autour du feu ».

 

            Projet de la mère, qui « aime ses textes même s’ils sont si mauvais, elle me le dit cinq fois par jour », et les lit « devant les invités qui sont des professeurs français » ? De « The Witch », qui « prie pour moi, même quand elle fait la vaisselle », et qui « est un système de sécurité installé par un architecte très intelligent », « [The Witch] » qui « peut faire bugger internet » ? Les rôles sont interchangeables. Tentacule est à la fois Big brother, le Grand Inquisiteur, et Fantômas : « Un fantôme logique ». Ou : « je suis mon propre fantôme, j’ai appris à traverser mes propres murs depuis la deuxième enfance », et « je remplis l’endroit de fantômes utiles et de grands moulins à vent. J’aime le vertige, ça tourne ».

 

            Ce que construit Khalid EL Morabethi ? Des « solutions imaginaires ». Quel nom donner à son projet ? Proposons : ‘Pataphysique, en rappelant sa définition par Alfred Jarry dans Gestes et opinions du docteur Faustroll : « La ‘Pataphysique est la science des solutions imaginaires, qui accorde symboliquement aux linéaments les propriétés des objets décrits par leur virtualité ». On peut aussi appeler cela, cette construction par déstabilisations : humour. « C’est supposé être drôle (…). Il faut que tu crèves tes yeux pour que tu me voies, pour que tu voies et pour que tu le voies. Au fond de l’attitude absurde à l’égard de la carapace tout court ».

 

 

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