TXT fête Verheggen par François Huglo

Les Parutions

03 déc.
2024

TXT fête Verheggen par François Huglo

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TXT fête Verheggen

 

 

            Plus qu’un numéro, même spécial, de TXT, c’est un livre sur l’amitié. Parce que c’était Jean-Pierre Verheggen, parce que c’était —parce que c’est— cette revue. Christian Prigent : « Ce lien a fait œuvre : l’aventure TXT doit beaucoup à l’amitié entre J-P et moi (si proches et si différents) (…) Si des textes ont incarné le projet TXT des années 1970, ce sont ceux de J-P ». Car « ils inventaient et illustraient nos slogans » : « langagement », « violangue », « insonsccient ». Projet politique, politique de l’amitié. Philippe Boutibonnes cite G. Agamben pour qui elle nous divise en autant de fois deux que nous avons d’amis. « Et c’est cette partition sans objet, ce con-sentement original qui constitue la politique ». Partition sans partis en quête de chefs, la « politique de l’amitié » (Derrida) s’oppose à la recherche narcissique, mimétique, grégaire, de l’alter ego : « l’acceptation sans jugement » d’un « lien antinomique », par exemple entre Verheggen et Boutibonnes (qui cite aussi Thomas d’Aquin, Simone Weil, Levinas et Aristote), entre Verheggen et Prigent. Pour chacun, la mort de l’ami anticipe la sienne « comme si elle était l’ultime don du disparu ».

 

            Étonnant Verheggen, dont la mort éveille chez le peintre Boutibonnes la réflexion philosophique, et chez le philosophe Éric Clémens des anecdotes que relie l’ « engagement amoureux » de toute une vie : les deux femmes aimées depuis ses dix-sept ans, l’objection de conscience qui l’a mené en prison, « l’orbite social-démocrate, ralliée sans conviction » par un « enfant de prolétaires, wallon, professeur », peut-être revenu de ses « convictions » révolutionnaires, la « facilité tendre de contact avec quiconque croisait sa route », dans les années 1970 « les coups de téléphone du quotidien Libération pour lui demander un titre pour la une du lendemain », sa générosité « sourcilleuse », sa fidélité « intangible », son « oreille hardie », le « rire de son angoisse ».

 

            Nathalie Quintane, à Pierre Le Pillouër : « Eh merde c’était le mec le plus sympa de toute la terre ». Exactement ce qu’on a pu dire de Cabu. Mais c’est encore plus vrai de Verheggen. Le Pillouër confirme : « Jean-Pierre aimait même les cons, il n’allait pas jusqu’à aimer les salauds mais évitait d’en parler ». Dans le groupe TXT première formule, Jean-Pierre était l’Auguste face à Christian « sur le versant plus mélancolique du rire qui glace les sons et du savoir de l’art ». Clown rock ? « Jean-Pierre, le cloud du clown : Grock around the clock ». Ou pop ? Amateur radio, il a reçu Julos Beaucarne, qui est devenu son ami, et Gainsbourg avec qui il s’est « très bien entendu ». Il lui a tendu TXT, qui l’a « emballé » : « Voilà, ça c’est de la poésie d’aujourd’hui ! ». Affirmatif, Serge.

 

            Alain Frontier se souvient de l’ « auteur de Tarta » (Tartalacrème, ça vous dit ?), de sa tronche sur la couverture d’une librairie fondée par Didier Paschal-Lejeune, qui dirigeait Cheval d’attaque. « Je me souviens aussi qu’il s’en prenait au PC, même que ça m’avait plutôt énervé (faut dire que le PC des années 70-80 c’était encore autre chose que celui de Fabien Roussel…) ». Charles Pennequin oppose au « français qu’on apprenait chez Pivot » le « goût de l’écrit » que Verheggen « ramène depuis la Belgique ». Mais comment dire en même temps qu’il « est trop tard » pour le lire et que « c’est toujours lui qui est le plus jeune » ? D’ailleurs, Bruno Fern n’a connu qu’après 2000 celui qui préfacerait L’air de rin en 2013, et lisant les anciens numéros de TXT pendant le confinement, il retient surtout les textes de JPV pour leur rapport à l’histoire littéraire, « à la fois savant et irrévérencieux », et pour leur refus de l’épuration lexicale : « Jamais une Vespa, jamais de dentifrice ». Jean-Pierre Bobillot, gagné très tôt par la contagion du « vraiheggen », la propage, et tant pis pour Barthes dont « Le Degré si bien nommé zéro [1953] » ignore Jarry, les futuristes, Dada, Apollinaire, Artaud, les lettristes et les zutistes, qui tous « déjà merdRaient grave ». Une phrase a suffi au coup de foudre entre les deux Jean-Pierre : « en Russie, Milou couchait vachement avec Tintin », cette Russie étant « aussi belge » que « la "Belgique" de Baudelaire, c’était la France ! ».

 

            Olivier Penot-Lacassagne salue le « vieil Heggen », ce « trafiquant de mots » qui aux « crétins revanchards » oppose « écriture idiote / zuteries et parodies », et Lambert Castellani le « pitre de pointe », son « méat bas des bouches bées » qui refusent de « se faire gentrifier la langue sans rien dire ». Jacques Bonnaffé se veut « artilleur première ligne » de « feu (son) poteau », mais plus que le pot au feu ça sent la frite et la bière « entre mon Nord et sa Belgique », avec l’étonnement précoce que ses confrères comédiens ne se soient pas rués, dès son apparition, sur cette mine d’oral. Quelques « giclées » de Manifeste cochon, et voilà le public réveillé en sursaut des siestes infligées par Adonis et par Velter. Voilà de quoi faire tomber « le grand JB Pouy » de son vélo, et perdre son trac en citant Scutenaire : « Je prends le monde tel que je suis ». Hourra l’Oral ! Post mortem, un mot pour dire le vieux papa : « L’empathie ! ». Et une épitaphe : « La mort, le Père Lachaise s’assied dessus ».

 

            Bénédicte Gorrillot voit dans la « Castafiore catastrophique » de Verheggen son « miroir cathartique ». Le comique, « cyclone ambulant » dixit Haddock, rit d’y reconnaître ( d’y voir décibel) en la Callas d’avant son régime devenue personnage d’Hergé, sa part maudite, sa « maudite obésité », son « sérieux postural » (pour en rire, avec l’autre maudit : « On n’est pas sérieux quand on a 117 ans »), ses « ratages linguistiques » devenus « ratage de la langue et du poète à toucher le réel dans sa présence vive ». À « mimesis négative », « catastrophe positive ». Anne-Marie Royère s’attache au « Rembrandt abracadabrant » des « portraits autofictifs », spécialement à celui du lecteur, « mauvais lecteur » de « mauvais genres », que fustigeaient « les "camarades" maoïstes thuriféraires de la « Culture prolétarienne », mais qui révélaient la « sensure » alors théorisée par Bernard Noël, « style potache » en plus, exercé par la « craduction », avec le « geste idiot » de déchiffrer « avec le doigt ».

 

            La « ballade des vieux-ranstiers » de Cuhel les traite de « soukeurs et bazoukeurs ». Le « mauvais lecteur » ayant fait école, nous entendons le « bachi bouzouk » d’Haddock, audible dans la possible épitaphe proposée par Pierre Le Pillouër : « IL aimait les / bachiques bouses où qu’ / elles se trouvassent, même chez Hergé ». Ça, c’est merdRer !

 

 

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