Charles Pennequin et les nouveaux menteurs par Christian Bernard
Charles Pennequin m’a adressé une « réponse » suite à la publication par Sitaudis de ma note intitulée « Claude Lévêque et les nouveaux censeurs ». Je n’y posais aucune « question » mais je voudrais à mon tour répondre à Charles Pennequin qui s’est donné la peine de m’offenser en m’attribuant des pensées et des sentiments que je n’ai ni eus ni exprimés dans ce petit texte auquel il s’emploie à faire dire ce qu’il ne dit en aucun cas. Ce procédé est courant, il ne grandit pas ceux qui croient intelligent d’y recourir.
Charles Pennequin me donne du « Monsieur », ce qui semble exprimer la distance méprisante dans laquelle il me tient. Il me qualifie d’institutionnel, ce qui semble sous sa plume une autre qualification méprisante. Cela ne paraissait pas le gêner quand le Mamco l’avait invité à donner une lecture publique. Je suis effectivement un institutionnel puisque j’ai dirigé la Villa Arson et créé le Mamco avant de le diriger pendant 21 ans. C’est dire que je mérite amplement cet adjectif dépréciatif. Surtout de la part de qui semble tout ignorer de ce que j’y ai réalisé et défendu et comment. Peut-être ai-je « gravi les échelons de l’art » mais je l’ai fait à ma manière, en toute indépendance et sans jamais m’incliner devant qui que ce soit. Il me paraît que Charles Pennequin essaie quant à lui de gravir les échelons de l’écriture contemporaine, ce que je ne saurais lui reprocher mesquinement.
Mon contradicteur prétend que je suis « en colère contre ce monde devenu normatif et ses nouveaux censeurs « qui savaient » mais qui ne disaient rien. » Il suffit de lire ce que j’ai réellement écrit pour voir que je n’ai pas exprimé de colère mais que j’ai énoncé un constat en disant : « Notre monde est redevenu plus normatif et plus protecteur… » Ai-je regretté que ce monde soit plus « protecteur » ? Nullement. Ai-je tort de considérer que ce monde est « redevenu plus normatif » ? Je ne le crois pas. Ai-je regretté cela ? Je ne l’ai aucunement écrit. Charles Pennequin ne me demande pas mon avis, il nous dit ce qu’il pense que je pense. Il est affligeant de se voir prêter des pensées aussi sottes par un homme aussi sûr de lui.
Je suis donc contraint de rappeler que je ne me suis pas attristé « sur cette médiatisation qui jette « un discrédit », comme on dit dans les journaux, sur une œuvre « sulfureuse » et un artiste à la démarche déviante et punk… ». Je n’ai pas évoqué la médiatisation ni le discrédit ni le sulfureux ou le punk. J’aimerais que Charles Pennequin me dise où il a lu ces mots dans mon texte. Je n’ai nullement déploré ce qui arrivait à Claude Lévêque. Quelle hallucination a-t-elle atteint Charles Pennequin ? Ou dois-je penser qu’il sait pertinemment qu’il ment et le fait pour me salir et se donner raison contre moi ?
N’y a-t-il pas quelque infamie à me faire dire que je m’attriste que l’on protège « un peu trop » la victime ? Où ai-je jamais écrit une telle aberration ? L’imagination diffamatoire de Charles Pennequin ne semble connaître aucun scrupule. Il devrait s’en méfier. Où ai-je jamais désigné « d’infâmes complices » comme le prétend Charles Pennequin ? J’ai écrit que ceux qui prétendent que tout le monde de l’art savait « ne peuvent se décompter de la quantité des complices qu’ils dénoncent ». À lire Charles Pennequin, je crois que l’on peut aussi le compter dans ce nombre de « ceux qui savaient ».
J’ai réservé le mot infâme à mon sujet, en l’occurrence « l’escamotage automatique d’une œuvre admirée l’instant d’avant ». J’ai employé le mot « déviant », non pour parler de l’œuvre de Claude Lévêque mais pour qualifier en général l’ensemble des œuvres que les institutions s’interdisent de montrer dans notre époque formidable. J’ai écrit ce petit texte pour qu’il soit dit quelque part que l’œuvre de Lévêque allait disparaître dans le scandale lié au comportement sexuel de son auteur. Ai-je regretté ce scandale médiatique ? Non. Ai-je regretté que Lévêque soit couvert d’opprobre du fait des actes horribles qui lui sont reprochés ? Non. Il est possible que la justice les caractérise un jour et qu’elle les punisse. Il est aussi possible qu’elle ne puisse se prononcer. J’ai publiquement soutenu la parole de Laurent Faulon qui est une personne que j’admire et un artiste que j’ai exposé à plusieurs reprises. Je crois en sa sincérité. Aujourd’hui, Claude Lévêque est condamné sans jugement. C’est regrettable même si, comme moi, l’on juge insupportables les faits qui lui sont reprochés.
Ce dont je voulais parler, c’est de son œuvre. Je l’ai aimée et défendue. Elle va s’anéantir durablement alors qu’elle avait reçu longuement l’accueil favorable et souvent admiratif des amateurs, des collectionneurs, des institutions. L’histoire ne manque pas d’exemples d’artistes ou d’écrivains criminels dont l’œuvre appartient à cette histoire. Caravage est l’un d’entre eux. Faut-il décrocher ses tableaux des murs des musées qui ont la chance d’en posséder ? À lire Charles Pennequin, on se dit qu’on aurait dû brûler Sade plutôt que de l’éditer en Pléiade.
Ma seule « colère », pour reprendre le terme que m’impute exagérément Charles Pennequin, était adressée aux escamoteurs. Elle n’est pas près de s’éteindre, n’en déplaise aux procureurs zélés dont Charles Pennequin s’est improvisé le porte-étendard éradicateur. Il n’aime pas l’institution, « le lieu même des faux-culs », que ne se réjouit-il pas de me voir dénoncer la servilité de ses employés ? Je gage que, fort d’un tel dégoût, si politique, il s’en tient prudemment à l’écart.
Le lecteur qui aura eu l’honnêteté de confronter la lettre de mon texte aux présuppositions qui lui prête Charles Pennequin conclura, je l’espère, avec moi que s’il sait écrire, il ne semble pas savoir lire.