Juste avant ... par Christian Bernard
Juste avant (que ça se (dé)noue)
D’abord, s’agissant du poème, rappeler qu’il n’y a pas de projet ni de programme ni même d’idée directrice ou conductrice (rien à dire ni à chercher a priori). Il n’y a longtemps rien, rien sinon le sentiment flou que cela reviendra peut-être.
Parfois, affleurent à la surface des copeaux d’expression (du mot à la phrase ou au vers), bribes d’intentions décousues, fragments flottants, sans lien entre eux, comme issus de rêves ou rêveries distincts et qui m’intriguent.
Au fur et à mesure, quand j’y pense, j’enregistre en vrac, pour ne pas les perdre, ces embrayeurs hypothétiques (aussi translucides que des crevettes dans un filet). Cela peut s’étendre sur quelques jours, semaines, mois (aucune régularité).
Il arrive que ces notes s’égarent ou s’engloutissent sous mes piles obsessionnelles.
Un jour, souvent au cours d’une lecture ou bien par l’étincelle d’une autre émotion, ça prend, ça coagule, et tout s’agence et se complète en vingt minutes au plus.
Impératif, l’instant d’avant survient et voici que s’annoncent l’enchaînement des brisures éparses, leur ajointement et le mortier.
Il y faut sans doute une disponibilité sensible, une humeur appropriée, une écoute fine de l’élément déclencheur. C’est peut-être la ritournelle d’une formule notée qui donne cette fois le branle. Ce peut-être un incipit crépitant qui allume sa fraîche évidence à l’esprit.
Il peut à l’inverse arriver que tout se déclenche d’un coup, sans crier gare, facilement, d’une seule venue à peine amendable.
Il reste que ce n’est ni provocable ni répétable. Et si souhaité que ce fût, rien n’y fait que l’on veuille.
J’aime que m’excèdent ces coulées ou ces processus d’agglutination inopinée et que je n’aie qu’à m’y rendre disponible.
Juste avant, quelque chose piaffe soudain qui fait entendre l’appel d’un rythme. Bien sûr, j’ignore quoi et pourquoi.
Étrange et libérant processus où commercent le donné et le décidé, où se mêlent formulations idiosyncrasiques et constructions conscientes (l’inconscient est une ruse qu’il faut apprivoiser).
Et quand ça commence, l’essentiel du « travail » est fait.