Carnets à bruire d'Esther Tellermann par Matthieu Gosztola
Du Bouchet : un parcours [et la montagne là ].
La marche. Pour aborder ce qui, dans le paysage, dit son nom.
Un nom qui nous exclut. Qui vit sans nous et va plus loin : et énumère cette absence qui est nous.
Un nom ? Le blanc.
Alors, fouiller le blanc. Avec les mains ballantes dans l’air. Les mains qui suivent sans se mouvoir pendant que les jambes décomptent les syllabes du temps.
Les mains qui sont à disposition et les yeux qui travaillent. Des yeux comme : oui. Des yeux qui creusent, creusent. Creusent. Mais sans presque le savoir.
La marche. Ce n’est pas ça. Pas tout à fait. Être dans le vertige de la lumière. Pas après pas. Approcher. Pas. Se confronter à la craie que manie la lumière, cette main. La marche, la lumière → vivre avec son empreinte, avec leur.
((Être – être – parmi les ombres.))
La marche, ce n’est jamais ça, jamais tout à fait, au point qu’on puisse dire : oui. Au point qu’on puisse : dire.
Franchir l’air. L’impalpable de la matérialité du chemin, s’y confronter. Jusqu’au sang. Jusqu’à la pulsation du sombre dans le sang. Être tout entier à ce qu’on fait.
Puis user des mots pour affiner la sensation (la reprendre, la revivre, lui dire : viens).
L’affiner – l’affiner – en la mettant en péril.
Pour douter du vrai et faire que de ce doute renaisse – absorbante – l’illumination (avec-la-cendre) d’un voyage presque immobile-presque immobile [lors de longues échappées avec le silence du corps, face à l’air et en lui].
Des carnets de du Bouchet (Carnets, Montpellier, Fata Morgana, 1994 ; Carnet 2, Montpellier, Fata Morgana, 1998 ; Annotations sur l’espace non datées (carnet 3), Montpellier, Fata Morgana, 2000), Esther Tellermann a tiré des poèmes.
Qui gardent, saufs, en eux l’inquiétude de du Bouchet ; sa ferveur ; son cheminement vers l’ombre, au plus dense de l’ombre.
Pour une lumière.
Il faut lire les carnets de du Bouchet et Carnets à bruire en une même savante et patiente échappée vers la lumière du nord quand elle s’est refermée, au plus de la nuit, et quand ne se tait pas encore la source, son murmure. Qui appartient à notre imaginaire : à notre impatience eu égard à la survenue des choses.
Je veille j’avance
et tombe
dans mes carnets
à bruire
peut-être sur la
nuque je pose
les nuits et
toutes les chambres
fait sourdre les
tranchants
j’ai marché
sur votre épaisseur.
* Voir aussi : « Dans la langue comme de l’autre côté de la langue : les Carnets d’André du Bouchet », in Esther Tellermann, Nous ne sommes jamais assez poète, La Lettre volée, collection Essais, 2014, p. 23-26.