Ciel sous tension de Monika Herceg par Christophe Stolowicki
Née en 1990, de deuils en exils son enfance ravagée par la dernière guerre d’Europe à notre fenêtre, Monika Herceg trace une poésie sans ambages court-circuitant la métaphore, où « le médicament pour les os » coexiste avec « les grands oiseaux qui descendent longuement dans le rêve ». À mots crus, drus asséchant tout lyrisme, passée sans transition de fantasmagories animales enfantines, chaudes de contes et légendes, à une tournure, démarche, culture, et à présent à des études scientifiques (étudiante en physique à l’université de Rijeka) : « nous avons récidivé dans nos yeux de petits hérissons […] / descendons des fiers renards […] / entre à toute vitesse dans l’âme du verre / et ne renverse par reflet de son regard une galaxie ». Vrillée de terreur lucide (« enveloppés de sommeil nous devinons rarement le pas / silencieux comme celui des renards qui se faufilent dans le poulailler / ou comme l’acquisition de la sagesse » quand « le plus jeune frère de ma grand-mère […] / au crépuscule on lui logea / une balle dans la nuque / qui le tira vers le centre de la terre / au-dessus veillaient les vipères / comme points cardinaux ».
Des poèmes à plusieurs inconnues résolvent les équations de degré zéro, vie en berne (« quand personne ne regarde / tu découpes l’amour dès qu’il / oxyde sous la jupe ») ; déclinant les coordonnées initiales (titre de son premier recueil)d’un monde non-né à ciel sous tension, de la fillette à l’adulte elle bat en brèche le chemin des siècles, franchit en un tournemain plusieurs âges de la poésie. Son parti pris des choses, de baroque élémentaire comme un rictus, rétracte le vivant au laser (« quelque part quelqu’un meurt même s’il a vécu / comme une chaise inutile qu’on a tirée du cœur du hêtre » ou « Je sens une poignante symétrie de survie »).
À bâtons rompus de sciences exactes, son pouvoir de transcription onirique intact. Trempée de cosmologie latente, planchant sur l’hypothèse de Riemann sur les nombres premiers et sur son hypersphère, à vers rompus elle arpente « les distorsions de son espace-temps » vécu, celui qui en quelques siècles remplacera les plages horaires. De jeunesse éclatante morne, d’entame sourde sur une vie de verre pilé.
D’incoercible enfant-femme traînant ses veuvages comme une herse en boustrophédon dans un champ de « bulbes non ramassés / des pommes de terre et des betteraves », d’enfant mort-née qui a vécu mille vies en plus de souvenirs qu’un fœtus de poulpe, de chat ou de renard, sa poésie prend à la gorge, à « l’algorithme », à l’ « OGM ». La traduction de Marina Kramer d’une lumineuse sobriété.