Jean-Roch Siebauer, Peiresc ou le Cabinet de curiosités par Jacques Barbaut

Les Parutions

25 mars
2025

Jean-Roch Siebauer, Peiresc ou le Cabinet de curiosités par Jacques Barbaut

Jean-Roch Siebauer,  Peiresc ou le Cabinet de curiosités

 

Qui est-ce que ce Peiresc ? C’est Nicolas-Claude Fabri de Peiresc (1580-1637) ; cet illustre conseiller au parlement d’Aix-en-Provence fut un érudit sans dogmatisme, un fantastique polymathe, un extraordinaire bibliomane — les livres, tous les livres, dont une grammaire éthiopienne ou des psautiers pentaglottes rédigés en guèze, en syriaque, en bohaïrique, en arabe et en arménien, il les accumula, les convoita, les échangea, les offrit, en commanda parfois l’écriture —, un vertigineux épistolier qui, s’il n’a laissé guère de traces dans la mémoire collective, donna pourtant son nom « à un genre de cactus à feuilles, à des rues [à Aix, à Montpellier, à Belgentier, à Toulon], à un collège, à un cratère sur la Lune, à un astéroïde » (p. 10), et à qui son grand ami Gassendi consacra un livre en 1641, une Vita Peireskii.

 

On reprend : ce curieux de tout, citoyen de la République des Lettres, « à la charnière des XVIe et XVIIsiècles, à la frontière floue de l’humanisme et du baroque » (11), écrivit des dizaines de milliers de pages de correspondance privée — « Un jour, Peiresc écrivit quarante-deux lettres ! », note 54 de bas de page —, eut comme amis Pierre Paul Rubens et François de Malherbe, Du Vair et Mersenne, défendit Caravage, fut un scrutateur passionné de la Lune, ses phases, ses éclipses, l’un des tout premiers en France « à adopter le nouveau système de l’univers, le copernicien, tel que vulgarisé par Galilée » (101), constata, grâce au microscope, que « la puce est un homard minuscule » (Max Jacob à Pablo Picasso), assista en Italie à la première de l’Euridice, en 1600, de Jacopo Peri, considéré comme le premier opéra (note 8).

 

Contemporain d’une science baroque « qui calcule le nombre de grains de sable que peut contenir la terre, le diamètre des anges, la hauteur au-delà de laquelle la tour de Babel eût fait chavirer le globe » (115), Peiresc, précurseur de l’égyptologie, posa intuitivement des bases pour une méthode de fouilles respectueuses du terrain ; concevant le monde comme une réserve infinie d’émerveillements et de motifs de connaissances, il collectionna — outre les habituels « peintures, sculptures, inscriptions, manuscrits, urnes, lacrymatoires, miniatures, pierres précieuses, télescopes, microscopes, reliques, bijoux antiques, livres, meubles, médailles, fleurs rares dont, bien sûr, des tulipes, armes anciennes et modernes, machines, gravures, dessins, ambres, talismans, pièces de dioptrique, de mathématiques, obélisques, animaux desséchés, empaillés, vivants » (26) — tous azimuts, fit venir des pièces de Turquie, des Indes et des Amériques (inventeur d’un réseau qui n’a rien à envier à la Toile contemporaine) : des bizarreries naturelles de quelque origine qu’elles soient, des indices pour prouver l’existence d’un troisième genre d’animal entre l’homme et le singe, des monstres à deux têtes, « un squelette d’agneau pas plus grand qu’un doigt », des coquillages en forme de conques, des plumes géantes, des salamandres, des caméléons (qu’il disséqua), des chats angoras, « des bézoards, des nautiles, des momies, des fossiles, des licornes et des mandragore » (53), des dents d’éléphant…

 

Cette précieuse miniature qui caresse mélancoliquement son sujet faute de ne pouvoir — et de beaucoup — l’épuiser, Jean-Roch Siebauer, membre du Collège de ’Pataphysique, l’agrémente de mentions ou citations de Julien Torma, Marcel Duchamp, Bartleby, Alfred Jarry, Antonin Artaud, Cami, Jacques Réda, Jean-Pierre Brisset (cette liste pour esquisser une constellation mentale). Ce carnet d’inventaire se veut aussi un hommage aux amateurs de notes de bas de page — la quatre-vingt-troisième et dernière note de ce Peiresc-ci, qui clôt l’ouvrage, est un extrait d’une lettre envoyée à J.-J. Bouchard, elle dit : « La douceur d’une vie dans les lettres est bien autrement friande quand on veut examiner ce qu’il y a de mal aux autres façons de vie. » (123)

 

 

 

 

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