Donne-moi ton enfance de James Sacré par Matthieu Gosztola
« L’enfance ne peut être donnée », prévient James Sacré en ouverture de ce recueil. « [N]i par nos gestes, ni dans nos mots ». Tout juste peut-on, lorsqu’il s’agit d’écrire sur l’enfance, tout juste peut-on donner, c’est-à-dire écrire pour un lecteur, n’importe quel lecteur (j’insiste). Écrire sur l’enfance, cela n’est pas tout à fait juste. Maintenant rectifier. Il faudrait dire : écrire avecl’enfance.
Avec, et non à partir d’elle, car il n’est jamais possible d’écrire à partir de quelque chose ou d’un lieu. Écrire, c’est partir pour l’inconnu, c’est partir vers. C’est ne s’adjoindre à aucun lieu contenu en soi, aucun lieu nous abritant avant ou pendant le geste d’écrire. Aucun lieu originel, aucun ventre maternel (aucun silence).
C’est ne prendre appui sur aucune margelle. Juste se jeter dans le vide. À partir du vide. Voilà ce que nous chuchote en substanceJames Sacré. Poème après poème après poème.
La poésie de James Sacré
Donne son frisson bref
Mais répété
& appuyé
Son mouvement endiablé
Son déchaînement de tendresse
Sa mélodie de ruptures
De brisures petites
Au lecteur, à je, tu, il / elle, nous, vous, ils / elles
Mouvement endiablé mais en douceur
Pour dire l’indistinct
D’à l’intérieur de soi
Et les pensées de tristesse, de bonheur réel d’être ensemble et indivisible,
de joie tremblante de n’être que joie
(de n’être que passagère),
Qui appuient
Doucement
Sur le cœur
Mouvement
Où la vie
Se fraie un chemin
Et jamais ne relâche
Son emprise
Pourtant toujours
Vacillante
Jamais / toujours
La vie est là
Même quand c’est la mort
Qui se dit (qui est dite)
La vie est là
Dans sa première fois
Dans sa ferveur
Dans son innocence
Retournée
En aveu de brûlure
Et de faiblesse
Et d’au revoir (presque fin)
La vie est là
Pour tous les instants
Du temps tenu
Ensemble
Qu’est un
Poème
Un jour on finit par ne plus rien faire de vrai
Tout n’est plus que faribole et poème
Ou beaux objets qui n’ont plus d’usage ; tout rangé
Dans l’ordre et des meubles fermés, des livres.
Mais faut rien en déduire ni croire
À quelque chose de perdu. Tout reste vivant.
Le vent remplit la nuit de rumeurs
De souvenirs portés par des mots.
Ce n’est que du vent
Les souvenirs, les mots ne sont que ces mots.
Mais le vent déjà
A touché à notre enfance,
Et touche cette nuit aux mots venus
À cause de sa grande rumeur de rien dire.
Le vent qui ressemble au temps.