Échantillons, catalogue de Véronique Vassiliou par Anne Malaprade
Se raconter par le menu, faire parler les détails et les couleurs, collectionner les matières et les tissus, les boutons et les dentelles, en découdre avec soi-même et l’autre : autant de défis que liste ce Catalogue qui n’a rien de rébarbatif ni de commercial, et n’entend surtout pas faire consommer de sens ou de psychologie à son lecteur. Véronique Vassiliou aime les almanachs, ces calendriers qui racontent la vie quotidienne en dessinant mille astuces, proposant tous ces petits trucs qui pimentent et agrémentent les actes que nous accomplissons le plus souvent de manière mécanique : faire les courses, cuisiner, jardiner, laver, nettoyer, réparer, panser, confectionner, bricoler, décorer. Cette fois-ci, elle fouille tout autrement dans sa mémoire qu’il s’agit de déplacardiser : le trésor est composé de fanfreluches et d’accessoires, de pièces disparates, de costumes et de déguisements, d’objets signés ou anonymes qui cristallisent les moments et les étapes d’une vie amoureuse. Nous rêvons toutes d’une robe couleur du temps ; toutes nous sommes des Parques filant le cours de la matière. Célébration des signes, surtout lorsqu’ils deviennent objets sensuels sous le regard et le toucher : « Céder au désir ? ». Tout ce qui permet de dévoiler tout en l’exprimant le corps, est ici joyeusement fêté. Le corps et les corps, l’individu dans la foule, chaque un d’une communauté qui fait circuler les objets et les signes, et qui peut, quand c’est nécessaire, se donner la main : « Dans manif, il y a le mot main. Gant, élan, ailé, léger, élégance. »
Espèce d’inventaire, inventaire invention, penser classer, ranger déranger en racontant : ces expressions disent à peu près ce que ces pièces détachées/papiers collés/fragments montés narrent. La vie d’une femme, l’enfance d’un rêve, la naissance d’une vocation : écrire selon l’alphabet magique, les hiéroglyphes quotidiens que constituent les vêtements, signature d’une forme incarnée — le corps. Mais le point de vue est malicieux, passe et repasse de l’autre côté du miroir : autobiographie décalée, déroutée, la vie dans les plis. Cette écriture de soi(e) ne propose pas un défilé classique. Le récit de vie drôlement éparpillé ne recourt plus au « je » : trop attendu, pesamment étendu, bien trop épais finalement. Il préfère esquisser un petit personnage à fonction pronominale, une micro vignette qui figure la personne comme essentiellement persona : celle-ci avance masquée, déguisée, représentée, jouée et joueuse, toujours au-devant et au-delà de ce que l’on peut attendre d’une coquette ou d’une précieuse. Couture.
Soi-même comme un autre, donc, petit autre figuré par une icône espiègle qui, racontant ses peurs, ses envies, ses déceptions et ses audaces, rappelle combien la singularité participe du collectif, du regard et des attentes d’autrui, et s’inscrit dans un parcours générationnel. Les vêtements contiennent eux aussi l’infini, tout en cherchant à se dégager de cet indéfini qui nous aliène : objets désaccordés, lieux mobiles et éphémères d’une mémoire qui œuvre à une beauté singulière ne devant rien à la mode et au bon goût. L’art de la couture constitue, bien sûr, un modèle rhétorique : la boîte à couture s’attaque à la phrase-patron, déchire et recompose la trame du souvenir, monte les images et les anecdotes selon un bâti qui constamment réinvente ses perspectives. Écrire et couturer — « Le kimono fait partie de sa garde-robe de base. Sa base, c’est sa maison. Le kimono est un vêtement de maison. Monosyllogisme. ». Prononcer comme l’on défaufile ; écourticher le propos ; surfiler la scène. Ce recueil se présente finalement comme une suite de lisérés reflétés par un œil d’or, qui se lisent comme des variations sur cet objet que l’on n’aura jamais, ce rêve qu’aucun voile ne peut saisir, cette forme qui comblerait le corps : Peau d’Âme évoquée, déjà, par Catherine Pozzi.