Il Salto de Christian Tarting par Matthieu Gosztola
Que fait l’absence ?
Qu’est-ce que nous fait l’absence d’un être qui pour nous a compté, mélodiquement ?
Pour le comprendre, il faudrait retirer au langage sa charge sémantique.
Il faudrait ne plus dire, mais sans cesser de dire, – car tout est langage.
Il faudrait énumérer :
Aïe l’absence
Aouh l’absence
Bang l’absence
Bêe l’absence
Bim l’absence
Boum l’absence
Brr l’absence
Clac l’absence
Clic l’absence
Cocorico l’absence
Cot cot-codec l’absence
Coincoin l’absence
Couic l’absence
Crac l’absence
Crincrin l’absence
Crrr l’absence
Ding l’absence
Dong l’absence
Drelin-drelin l’absence
Dzim-boum-boum l’absence
Flac l’absence
Flic l’absence
Floc l’absence
Froufrou l’absence
Gioumpf l’absence
Glouglou l’absence
Hi-han l’absence
Meuh l’absence
Miaou l’absence
Ou-ouah l’absence
Paf l’absence
Pan l’absence
Patapouf l’absence
Patatras l’absence
Pif l’absence
Ping l’absence
Plouc l’absence
Pouf l’absence
Poum l’absence
Splash l’absence
Tac l’absence
Tam-tam l’absence
Pouf l’absence
Poum l’absence
Splash l’absence
Tac l’absence
Tam-tam l’absence
Tic l’absence
Tic-tac l’absence
Tilt l’absence
Vlan l’absence
Zim l’absence
Pour faire surgir l’absence, mélodiquement, pour qu’elle dessine au moyen des mots l’effacement d’un être (en l’occurrence Alain Gibert, guitariste puis tromboniste de jazz) tout en nous le faisant ressentir intimement, cet être, par la façon qu’il a de s’effacer au moyen du langage (paradoxe que soulève et résout bellement le poème*), Christian Tarting fait beaucoup mieux.
Il compose une voix – avec une précision d’orfèvre (rien n’est lourdeur, dans cette voix qui articule sa présence au monde, au disparu et à elle-même).
Une voix, mais alors il faut reprendre la définition qu’en donne Lacan lors de son séminaire « Les non-dupes errent » (1973-1974), et plus précisément pendant la leçon du 9 avril 1974, le texte de cette leçon étant demeuré inédit : « La voix se définit d’autre chose que de ce qui s’inscrit sur un disque, et sur une bande magnétique comme il y en a tant qui s’en régalent, ça n’a rien à faire avec ça. La voix peut être strictement la scansion avec laquelle tout ça je vous le raconte ».
Et la « scansion » (qu’est la voix) par quoi le poème peu à peu paraît, apparaît, c’est cela.
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Cela : « l’onde », écrit Tarting.
C’est-à-dire une eau – dans son mouvement.
l’auteur fait du souvenir – une eau – la présence du disparu – est minerais – & l’eau du souvenir – a un effet – sur ce minerais – précisément – par son cycle – en circulant – en boucle – des hauteurs – de la mémoire – vers les bassins – du ressenti – l’eau liquide – lessive – le sous-sol – de l’absence – & en dissout – les éléments – les plus solubles – pour les précipiter – en sels – dans les estuaires – des pages – ou les salines – des poèmes
« l’ombre
et le ciel
perdu des lèvres,
ce qui sommeille du toucher,
ici presque
oui le souvenir
d’une vieille photo
vécue à
l’échancrure
à cette avance
[…]
encore strié par
l’eau encore
lovant sa chute,
un ripieno de ce
qui tremble et lentement
s’écrit
à même
le geste,
c’est alors
cela,
le puisque de la peur
versé »
* L’auteur s’exclut du poème qu’il fait résonner comme pure présence, c’est-à-dire comme présence à même de pouvoir accueillir l’autre – l’autre qui peut alors se mouvoir dans le texte : y vivre.