K.O.S.H.K.O.N.O.N.G, numéro 3 par Matthieu Gosztola
K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. ?
« Koshkonong est un mot indien Winnebago qui donne son nom à un lac important du Wisconsin – Il signifie au-delà de toutes les polémiques d’hier et d’aujourd’hui : "The Lake we Live on" – Le Lac qui est la vie ».
K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. s’affirme dès à présent, grâce à Jean Daive et Éric Pesty, comme une revue importante.
Par le soin apporté à sa réalisation (beau papier, belle typographie, format idéal), elle rappelle certaines revues de la fin-de-siècle ou du début du vingtième, telle la revue de Paul Fort Vers et Prose.
Cet « écrin » permet aux quelques textes qui se lisent à chaque numéro de briller de tous leurs feux compliqués. Ambigus. & parfois d’une évidence non soumise aux gestes brouillés – tels qu’ils sont rétrospectivement perçus – de l’enfance. Et c’est là l’autre bonne idée qu’ont eue Daive et Pesty : ne pas surcharger – loin s’en faut – la revue de textes.
Mais qu’en est-il précisément de ce numéro 3 ?
Hormis par exemple « Leurs corps naturels » de Royet-Journoud – très beau titre – (et ce vers qui entretient de fortes affinités avec la poésie de Daive : « Elle dort dans le cercle ») & un beau texte d’Isabelle Garron, force est de citer Jérémie Bennequin, qui a érigé l’estompage au rang des Beaux-Arts, en gommant précautionneusement, lentement, au moyen de gommes à encre, des pages et des pages de livres imprimés, & sacralisés. Jour après jour.
Après jour.
Jérémie Bennequin avance dans « Des monts et des tombes » (in Rêverie pour le futur, quatre artistes contemporains autour de Jean Raine, Melis éditions, 2013), dans un texte-prolégomènes : « Estomper signifie adoucir, voiler, fondre une forme dans le vague d’une ombre légère. C’est un terme que les dessinateurs connaissent bien, à l’origine une technique de fusain pour atténuer le contour d’une figure, laquelle continue néanmoins de transparaître, imprécise, vaporeuse, devinée. En l’occurrence, l’estompage d’un livre réclame un geste tendre et minutieux, le respect du texte endommagé. Célébration profanatoire, d’où le titre générique de cette absurde entreprise : ommage. »
C’est à Proust que Jérémie Bennequin a surtout fait valoir sa « célébration profanatoire ». Mais comme il l’ajoute dans « Des monts et des tombes », « Mallarmé aussi se décompose ». Nul doute que Jérémie Bennequin se place alors dans le sillage de Marcel Broodthaers qui en 1969 avait fait disparaître Un coup de Dés jamais n’abolira le Hasard en substituant des bandes noires aux vers de Mallarmé.
Mais la pratique opérée pour ce qui est de Mallarmé diffère de celle opérée pour ce qui est de Proust. Jérémie Bennequin décrit précisément son faire face à Mallarmé, faire que K.O.S.H.K.O.N.O.N.G. donne à voir… dynamiquement (on n’en dira pas plus) en ce numéro d’automne : « En accord avec le texte lui-même, Un coup de Dés, la partition poétique s’éteint littérairement au cours de séances publiques de Dé-composition où le hasard d’une succession de lancés de dé détermine l’abolition progressive de la musique mallarméenne, syllabe après syllabe, radical sonore du poème. Extinction numérique, car l’effacement est virtuel, informatisé. Toute séance se joue à partir de la version du texte précédemment dé-composée et se termine par le tirage et la publication in situ, aux éditions de la Bibliothèque Fantastique, d’un texte toujours plus évidé ».
On le voit : Jérémie Bennequin, blanchotien à la diable, remplace allégrement, en accord parfait avec son époque (qui n’a pas commencé hier, mais en… 1895 avec Paludes de Gide), et ce n’est ainsi pas le premier, et ce ne sera pas le dernier, une mystique du texte par une mystique de l’effacement du texte.
C’est par ses virtualités qui ne sont plus actualisées – mais qui le furent : on en a la certitude (on en a la preuve) – que le texte acquiert peu à peu un pouvoir paradoxal, une force d’apparition qui tient à cette absence qu’il creuse, dans laquelle il se tient en partie et qui nous renvoie, nous semble-t-il, au plus précis du présent sociétal (hors duquel nul présent ne semble pouvoir se tenir, aujourd’hui), à son noyau amer de néant.