Les gestes impossibles de Pierre Vinclair par Matthieu Gosztola
« elle danse la mort » nous nous sommes morts « NOUS SOMMES MORTS » faire parler nous faire parler « nous » les morts Pierre Vinclair s’y emploie en autant de gestes impossibles qui sont les gestes du langage gestes impossibles vécus comme tels mais pour qu’apparaisse l’humaine condition sous la trame de la parole tissée, soufflée, sculptée en soulevant l’esquisse de tremblement gestes impossibles vécus pleinement pour que soient présentifiés les morts sur la page les morts de toutes les époques – « nous » de toutes les époques – qui nourrissent en vent le vent gestes impossibles rendus à leur nécessité pour que soit rendu de manière singulière c’est à dire signifiante c’est à dire impersonnelle – par visions successives [le grand tableau des visions anonymes où le « je » se transmue en « nous »] – le réel « L’écrivain […] se propose en effet de donner à voir de manière singulière un réel auquel on n’a jamais accès que par des catégories conventionnelles, et ceci par un usage pertinent de signes arbitraires. Autrement dit, user des mots pour dépasser les mots, retourner les mots contre eux-mêmes, « écrire pour ôter les noms », comme disait Proust. Or, cette poétique de la vision, qui enjoint à l'art de nous montrer ce que l’usage commun des catégories nous cache, ne relève pas d’une métaphysique romantique, qui voudrait par exemple comme celle de Jacobi rendre possible une intuition des choses en soi : elle a bien pris acte, en effet, que nous n'aurons pas d’expérience extra-grammaticale du réel. Et celui qui s’essaie aux contraintes ne s’abstrait pas de la grammaire : il en rajoute. Il la travaille, la tord, ou mieux l’incline, pour faire émerger, dans le texte, au cœur du texte, cette voix ou cette vision qui déplace les usages communs. Au lieu de le raccrocher à un genre, les contraintes le singularisent donc à mesure de leur rareté – et cette singularisation est bien impersonnelle, puisque le poète n’aura pas pensé ce qu’il écrit avant de l’écrire – c’est l’acte d’écriture qui crée de la pensée » (« Le Chamane et les phénomènes ») dans ce recueil Pierre Vinclair met en acte ces assertions mettant logiquement son pas dans la neige dans celui de Mallarmé car écrivant « LES FLEURS S’ENVOLERONT. les couleurs / s’échangeront contre un écho. / (manteau que neige froisse.) // on entendra dedans battre le cœur / de – c’est tout. quelque chose sera. / de la langue // qui caresse la peau, / dans ta bouche – / je suis ce rat, écoute » ce qui est le nœud du livre il écrit / réécrit ceci « […] À quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa presque disparition vibratoire selon le jeu de la parole, cependant, si ce n’est pour qu’en émane, sans la gêne d’un proche ou concret rappel, la notion pure ? Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets » (Avant-dire au "Traité du verbe" de René Ghil, 1886)