Mouvement perpétuel d'Eric Houser (2) par Anne Malaprade
Journal extime ? Reportage intime ? Chronique d’un amour en fuite ? Le mouvement général du dernier livre de Eric Houser se donne à voir et à entendre, se devine aussi, depuis la table des matières : un (« Mouvement perpétuel ») deux (« Notes pour mouvement »), // un (« Mouvement perpétuel ») deux (« Notes pour mouvement ») trois (« Ma Palmeraie »), //un (« Mouvement perpétuel »). Les sections mettent en place un rythme ternaire propre au tourbillon de la vie amoureuse, comme le chante si justement Jeanne Moreau. La perpétuité, elle, se réfléchit dans le premier et le dernier ensemble, puisqu’ici l’étendu « Mouvement perpétuel » initial rejoint un « Mouvement perpétuel » final cette fois écourté (l’ultime section ne comporte plus que trois textes) et néanmoins indéfini : « Je n’ai pas encore ouvert la sortie ». On y revient, on y retourne, on s’y enferme, on y reste. L’ouverture, l’après, le dehors, la perspective, le futur, ce n’est pas encore pour maintenant. Ce n’est sans doute pas pour cette vie-ci, qui ne cesse d’imposer aux sujets des tests de solitude. Et ce n’est pas le juriste, le musicien et le psychanalyste qu’est aussi Eric Houser qui nous contredira.
Mais quel est donc ce dispositif qui persévère indéfiniment dans son mouvement sans apport d’énergie extérieure ? Quelle machine peut ainsi produire plus de rayonnement et de force qu’elle n’en a initialement reçu ? L’amour, sans doute, le désir peut-être, les pulsions de liaison et de déliaison très certainement, qui laissent l’autre à sa retraite autant qu’ils abandonnent le moi à l’errance. A Paris donc, entre les choses et les lieux, les rues et les stations du vingtième arrondissement notamment, le narrateur glisse, fuit, croit s’arrêter alors qu’il ne cesse de quitter toujours plus abruptement un amour déclinant, peut-être déjà défunt. « On ne parle pas dans le vide, en l’air plutôt ». Le « tu » ne répond plus, mais le mouvement perpétuel fait que la langue continue de chercher l’adresse, l’autre, l’aimée, dont l’ombre absentée effleure encore les paysages et les formes, les mots et les choses, les films et les livres. Perpétuellement le masculin est décroché, ou décroche, du féminin. L’un et l’autre n’ont pas les mêmes goûts : films, vêtements, décors, couleurs, incidents, « vitesses différentes », tout détail est prétexte à désigner le décalage, voire le manque et la faille, ce qui fait que l’accord ne s’accomplit plus. Certaines histoires d’amour s’en accordent très bien, et ne cessent de tenter, plus ou moins joyeusement, le rapprochement et la fusion : « Charmes des impossibilités », écrivait Olivier Messiaen. D’autres s’y dénouent en s’y abîmant. Et c’est peut-être le journal de cet écart secrètement mesuré, cette fragilité pratiquement invisible que ce livre propose d’articuler, avec la précision lucide d’un certain désespoir. « A présent il faut finir, pas clore mais finir ». C’est terminé, donc, pourtant rien n’est définitivement fermé puisque ce rien est l’objet d’un livre perpétuellement mouvementé : avec obstination, il prend la tangente et ouvre de nouvelles fenêtres. La fin, décidément, n’en finit pas d’ouvrir le monde. On trébuche et on titube, mais on ne chute pas.