Bruno Remaury, Sur toute la surface de la Terre par René Noël

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23 janv.
2025

Bruno Remaury, Sur toute la surface de la Terre par René Noël

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Bruno Remaury, Sur toute la surface de la Terre

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Bruno Remaury nous donne à lire trois récits de trois vies fictives ou réelles, trois regards de citoyens lambdas, entrecoupés par l'Histoire, portant leurs regards sur autrui. Henri dans le premier texte opte pour l'administration coloniale et débarque à Hanoï. La vie des autochtones, des annamites, lui semble exotique et le restera jusqu'à son retour en métropole, sans que cela l'étonne, gardant le sentiment du devoir accompli.

 

Dans le second déroulé d'Histoire, l'essayiste part des quais de Venise au XVIe siècle, des Noces de Cana peintes par Véronèse, tableau où se côtoient Vénitiens, Maures, Turcs, Juifs, Éthiopiens à la même table et du Barnum's American Museum qui exhibe les êtres humains.

 

Le troisième essai évoque le projet d'exposition d'une ville, de ses rues, de ses murs, de ses habitants, de Walt Disney, appelés à illustrer les progrès techniques des États-Unis, aussi bien qu'un décor, adaptant leurs modes de vie aux avancées de la science, afin de couronner une intégration réussie. Le portrait d'Eileen Farthington, au XXe siècle, incarne le White Flight, la fuite des classes moyennes blanches des centres urbains dès les années 50.

 

L'essayiste nous donne à voir ainsi sur toutes surfaces de vivant l'espèce humaine qui se répand, rayonne. Les observations de bonne ou de mauvaise foi, les idées reçues à propos des diversités des cultures humaines, disent du genre humain qu'il est un et indivisible, figurant l'arbre de vie, inépuisable, définissant les rapports entre hommes et leurs comportements vis-à-vis des autres formes de vie de façon toujours nouvelle. À d'autres périodes de l'histoire, les différences instaurent une stricte hiérarchie entre les sociétés humaines, fixiste, immuable, définitive. Carl von Linné, Buffon et Darwin incarnent les pôles entre lesquels oscillent les sociétés humaines de notre époque.

 

Ce sont ces mouvements centrifuges et centripètes qui se succèdent à travers les siècles que Bruno Remaury nous donne à lire à travers les regards posés sur l'autre, les humains animés soit par des besoins de se différencier ou d'imiter les sociétés environnantes, observe Claude Lévi-Strauss sur le terrain, en disciple de Montaigne écrivant les cannibales. Entendu que le juge de paix des regards portés sur autrui est très souvent la guerre, les conclusions tirées d'une défaite ou d'une victoire conduisant à des changements plus ou moins drastiques, selon les organisations internes des sociétés et les équilibres du pouvoir, une défaite pouvant à l'occasion faire émerger de nouvelles classes sociales et dirigeantes faisant allégeance au vainqueur.

 

Une fois vaincu, tout reste à faire, ainsi que depuis l'antiquité les hommes le constatent, pour tenir une cohérence entre les anciens belligérants. La dîme et les hoplites ont été bien souvent les seules obligations des vaincus pour marquer une alliance entre cités, aussi bien du temps d'Homère que du temps de Machiavel. Lors de la constitution des Empires coloniaux récents apparus depuis la Révolution française, l'altruisme et le service rendu justifiant les exploitations et les soumissions brutales des sociétés conquises passent par des tours et détours, des mauvais sophismes, des paradoxes mal établis une fois acquise, plusieurs décennies après, la distance requise pour les jauger, mais qui pourtant aux yeux des protagonistes qui les vivent au jour le jour, coulent de source, sonnent vrai.

 

Que l'on songe à ces lieux communs de notre temps qui au moment où ils sont dits, ne trouvent aucune contestation, l'unanimisme faisant de celui qui questionne, un illuminé. Ainsi des slogans tels que la Chine atelier du monde, soit une vision néo-coloniale du monde, pour s'apercevoir qu'à bien des égards l'impérialisme n'est pas perdu pour tout le monde et que les mythes, tels que l'ascenseur social, les classes moyennes, sont de nos jours balayés par une culture d'état de siège. Une préparation des populations dans nombre de régions du monde, à la guerre civile de l'humanité que les historiens romains ont écrite.

 

Bruno Remaury saisit ces moments où de visage à visage, la réalité bascule dans l'outrance sans que les humains se doutent des conséquences de leurs idées arrêtées. Tout à coup tout se fige chez un grand nombre d'individus, les antagonistes entre le monde qui va, qui évolue et l'entre-deux où ils demeurent plus morts que vifs, provoquent des collisions, premiers symptômes de catastrophes qui se sont radicalisées depuis que s'affrontent les tenants de la Révolution française et les contre-révolutionnaires, pièce rejouée à notre époque jusqu'à ce que les munitions s'épuisent aussi bien que dans le film La Horde sauvage de Sam Peckinpah jusqu'au dernier homme debout.

 

 

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