Sunny girls de Sandra Moussempès par Anne Malaprade
Des espèces d’espace et des espaces-temps, des plages et des plateaux, des scènes creusées au passé et au présent : les « sunny girls » dont il est question dans ce volume multiplient les expériences derrière et devant la caméra, avec et sans stylo, avec ou sans micro, toujours, cependant, par le corps et la voix. Elles séduisent, aiment, construisent, éduquent ; elles voyagent, dansent, écoutent et regardent, projettent, rejettent et introjectent, elles vieillissent, se fardent ; elles sont toujours, peu ou prou, « à vendre » — à prendre et à laisser, à prendre puis à laisser, à prendre à abandonner. En même temps elles restent étrangement adolescentes et libres : femmes et jeunes filles fuient et sautent, pieds nus, d’un texte à l’autre, d’une section à la suivante. Aucun « récit épique » ne les capture, car elles ont déjà rejoint la « réécriture gothique d’un western » qui les conduira in fine auprès de « médiums » dont certains sont cités : John Cage, Samuel Butler, Chris Marker ou Sylvia Plath par exmple. « Girls » parmi les enfants, les animaux, les fleurs, les figuiers et les monstres, les sirènes se cachent et se découvrent, s’offrent et se refusent : « vitesse corporelle » et « effet cinétique » se prolongent en une syntaxe accélérée. Les filles habitent et parcourent ce livre rouge sans cesse traversé par les mythes et la légende — Lilith et Eve veillent et protègent leurs sœurs fugueuses. Les hommes, eux, sont manipulateurs, dangereux, et détiennent un pouvoir chronophage. Ils agissent dans l’ombre et le brouillard, leurs voix provenant le plus souvent de contrées froides et inhospitalières. Hors-champ, ces princes charmants aux « idées noires » donnent des conseils, avisent, contrôlent, tout en inventant autant d’arts de la guerre, autant de guerres des sexe : tactiques, stratégies et plans cinématographiques déterminent des plans de bataille — le cinéma viserait-il la poursuite de la guerre selon d’autres moyens ? Ils apparaissent comme les maîtres d’une cérémonie immanente et profane : celle que l’actrice-auteur — Sandra Moussempès, « guest-star » —, anime et colore (de mauve ou de violet le plus souvent), elle qui « passe avant la pensée », elle qui dépose et « dispose », certes, mais sans « discours ». « Ne pas vouloir/Ne pas trop vouloir/Mais vouloir une chose étrange » : cette chose étrange et différée, c’est peut-être la capacité d’accueil de ce livre-soleil qui éclaire et réchauffe une féminité écorchée.