tes reins jusqu'en septembre de Dominique Fourcade par Anne Malaprade
Du dernier texte de Dominique Fourcade, je retiens, entre autres, cette phrase fulgurante qui dit la puissance fragile de la poésie, dont les mains d’argile façonnent les êtres cassés que nous sommes, émus par tant d’intensité incarnée : « […] des événements se produisaient, comme programmés par une même grande poésie. »
Des événements qui ne surgissent certainement pas de nulle part : une scène, un décor, un espace-temps, une arène, une page ou un écran brutalement pris par, pris dans une apparition qui atteint la grâce de l’acte. Dominique Fourcade observe ces atteintes-étreintes imprévues imprévisibles, et les admirant il reconnaît en elles cette « grande poésie » qui n’est pas tant dans les mots que dans les sons, les gestes, les couleurs, les odeurs et les goûts en mouvement : ces sensations qui lient la vie et la nous font aimer même lorsqu’elle est traversée par la menace du pire. Manque, faille, panique, solitude, excès de meurtres dans la mort : « le gouffre de l’époque même ».
Je retiens — au sens où la phrase transperce et semble repartir vers d’autres, comme si une douleur devant tant de beauté relançait l’élan vital — également ce titre. Un secret pour un trésor : « tes reins jusqu’en septembre ». L’absence de majuscule initiale (é)meut : on y reconnaît l’humilité du spectateur, de celui qui touche de sa main avant d’embrasser de tout son corps. Embraser le corps féminin, modelé par le désir de l’autre dont le regard tactile se prolonge en durée. Point de temps, pas de calendrier, encore moins de mesure : la courbe charnelle ici conduit à prolonger la sensation en une vibration qui ne cesse plus de vaciller en chacun d’entre nous, entre l’un et l’autre, l’amoureux et l’amant, le lecteur et l’écrivain.
La poésie est faite par tous : celui qui l’écrit est l’anonyme de toute humanité, une neutralité surexposée aux sensations les plus intenses. Homme et femme, vivant et passé, il trace « un vers de personne » aussi gracile qu’une ligne jouxtant le néant. On y retrouve cette nécessité qui faisait dire à Spinoza « Par perfection et réalité, j’entends une même chose ». Ce court texte-ci, coupé par le temps — le temps des vœux, celui d’un calendrier assassin qui nous conduit à nous adresser à l’autre, et donc à nous couper de nous-mêmes —, est lui aussi « né de la force du développement de la poésie ». Poésie qui dure jusqu’au vers coupant, poème qui s’adoucit en musique, instant poétique qui prolonge l’instant en éternité momentanée. Faire-part de poésie, invitation au vertige du déséquilibre : ne rien annoncer, ne rien révéler, glisser sur le continuum afin d’en éprouver la surface et l’éclat, d’en découvrir une acoustique risquée et tendue. Retenir et caresser ce qui a eu lieu. Tout arrive, même la beauté et ce qu’elle révèle de bonté aventureuse, de temps incorporé et de douleur invincible.